mercredi 17 décembre 2008

Conclusion d'un trajet Arles-Avignon-Paris-Dakar-Bamako-Ouagadougou

Mardi 3 décembre. Il est midi et demi, et en en ayant terminé, cette fois je l’espère pour un bon moment, avec les formalités administratives, j’émerge du minuscule aéroport de Ouagadougou.

Je suis descendu de l’avion avec le soleil dans le dos, et j’ai bien pris garde de ne pas me retourner depuis. Mais là, plus question de se défiler. Les sournois méandres sanitario-douaniers m’ont imposé par petites touches discrètes un revirement à 180°. Me fixant d’un air incroyablement suffisant du haut de son zénith, un énorme soleil africain contemple amusé mon arrivée. La luminosité me fait littéralement vaciller, et il me faut une demi-douzaine de secondes pour arriver à discerner les silhouettes qui me font face. L’une d’elles tient à la main un panneau sur lequel est écrit « Institut Imagine – Harry Vailardier ». Elle affirme répondre au doux nom de Coulibaly et me conduit à un vieux 4x4 pour une traversée de la ville, direction mon futur lieu de travail, qui me tiendra également lieu de créchoir en attendant de me trouver un logement.

Chemin faisant, Coulibaly m’interroge sur mon voyage.

Je n’ai pas vu passé les dernières 24h. A 13h la veille, je suis sorti de l’appartement de l’ami Jérémy et de ses charmants colocataires, abandonnant non sans regret derrière moi une boîte de bonbons en gage de ma gratitude envers mes hôtes. Saleté d’hôtes, saleté de gentillesse et foutues convenances. En plus il restait des crocodiles (il ne s’agissait quand même pas d’une boîte pleine, j’avais bien évidemment mangé tout ce que j’avais pu la veille). Bref, c’est de fort mauvaise humeur que j’arrive crevé à l’aéroport de Roissy, terminal B, après une bonne heure de trajet en commun, dont 20 minutes de métro dans le wagon d’une classe de primaire, et sans que le RER ait eu l’élémentaire courtoisie d’attendre que j’ai grillé ma cigarette pour arriver. Direction l’enregistrement. Le type devant moi a un excédent de bagage. On s’arrange avec l’hôtesse pour faire enregistrer l’un de ses sacs à mon nom. L'affable propriétaire des kilos de trop, un sénégalais d’une trentaine d’années, m’en est reconnaissant. Il m’apprend rapidement qu’il est chef d’entreprise en France, et qu’il envoie quelques affaires, escortées par un de ses employés, à sa famille à Dakar. En remerciement, il passe quelques coups de fil et m’annonce deux bonnes nouvelles. D’abord, je ne dormirai pas dans l’aéroport L.S.Senghor avec mon sac comme oreiller. Il s’est arrangé pour m’obtenir une chambre d’hôtel. Ensuite, sa petite sœur passera me récupérer à mon arrivée pour me faire faire un tour de Dakar. Je suis bien évidemment ravi.

En passant à la douane, j’ai une légère appréhension. Je n’ai pourtant rien embarqué de compromettant mais je viens de réaliser que le fute que je porte a sacrement vécu, et qu’il serait loin d’être impossible que dans l’une de ses nombreuses poches se trouve un quelconque passager clandestin oublié par moi depuis longtemps. Aucune importance, pas de chien et je passe sans être ne serait-ce que palpé. Le seul incident notable est le rire que suscite chez deux jeunes douanières la masse conséquente de choses (clés, tabac, filtres, feuilles à rouler, briquets, passeport, certificat de vaccination, papiers divers et variés, stylos, carte d’embarquement, portable, boîte de médocs…) que j’extraie de mes poches. J’essaye d’arguer que n’étant pas une fille, je ne peux décemment pas me munir d’un sac à main pour y ranger mon foutoir, ce qui ne les convainc guère. En me dirigeant vers la porte d’embarquement, je croise quelques troufions, mitraillettes en mains, qui me rappellent qu’un bagage à mon nom dont j’ignore tout du contenu est probablement en train de passer à son tour à la douane.

Un peu plus de 6h plus tard, me voilà à Dakar. Première sensation de l’Afrique : l’odeur de la mer. Et oui. J’avais complètement oublié que Dakar est une ville côtière. De fait, ma première impression de l’Afrique est que ça sent très exactement comme les Saintes-Maries-de-la-Mer. Le dépaysement arrivera plus tard, lors de ma visite du centre de Dakar. Il fait nuit -il est 23h passée- et je n’ai donc pu avoir une bonne vision de la ville mais j’en ai tout de même vu assez pour avoir l’envie d’y revenir. Il y a un nombre absolument ahurissant de moutons dans les rues, destinés au Tabaski, c'est-à-dire à l’Aïd-El-Kebir qui approche. En passant devant ce qu’elle m’indique comme étant une cité universitaire, je demande à ma guide, sœur de l’entrepreneur rencontré à Orly pour ceux qui auraient oublié, si elle est mixte. Ce à quoi elle me répond que « non, bien évidemment, comme en France ». Dans la mesure où elle m’a fait part de son envie d’envoyer sa fille faire ses études en France, j’évite soigneusement de lui dire qu’il y a eu, depuis 68, quelques changements à ce sujet. Après moult remerciements, me voilà à l’hôtel de l’aéroport (j’ai compris pendant la soirée que mon bienfaiteur d’Orly n’est autre que le petit frère de l’un des responsables dudit aéroport). Attention somme toute inutile, je ne dors toujours pas.

Le lendemain, je prends un nouvel avion, qui je l’apprends à l’embarquement, dessert Bamako (Mali) avant Ouagadougou. Surréaliste. Je me souviens de « La cité de la peur » et du fameux « aéroport de Nice, aéroport de Nice. 10 minutes d’arrêt. ». Je me marre. Ce qui est moins marrant, c’est que cela signifie un décollage et un atterrissage de plus, et les dépressurisations qui vont avec, toujours dangereuses quand on promène un pneumothorax tout juste guéri.

Contemplant le paysage splendide qui apparaît à mon hublot, je griffonne quelques lignes dont voici la transcription.
« A chaque fois c’est pareil. Cela en devient agaçant. Il suffit que je prenne l’avion pour être assailli par des spasmes mystico-spirituels. Cela dit, je ne suis pas le seul. Prenez un mécréant lambda. Arrosez-le de la perspective d’une promenade à 30000 pieds et vous verrez très rapidement fleurir sur ses lèvres des bouquets tressés avec les noms de tous les dieux de la Création, des parterres d’imprécations atterrées et des bosquets de prières silencieuses. Pour ma part, j’ai mon rituel personnel. Comme à chaque fois que je pense mon pronostic vital engagé, je passe un accord unilatéral avec Big Blank, dont voici les termes. Il ne m’arrive rien, et en échange je t’en dois une. Autant dire qu’entre les retours motorisées de soirées inondées, les débauches de mise à contribution festive de la chimie moderne, les transactions effectuées avec des individus douteux dans des lieux improbables, les récurrentes et irrésistibles envies d’escalade inhérentes à la condition de pochtron insomniaque et mon étrange propension à ne chercher la bagarre qu’aux plus forts ou plus nombreux que moi, je suis insolvable depuis fort longtemps. Au grand paradis des imbéciles extatiques illuminés, je serai de corvée de chiottes pour au moins l’éternité. Mais qu’importe puisque ça marche.
Me voilà en plein ciel. On ne conçoit la hauteur qu’en altitude. Et je dois reconnaître que libéré sous conditionnelle (celle de ne jamais redescendre) des lois de l’apesanteur, chevauchant lascivement les cieux, j’ai bien plus de facilité à concevoir la possibilité de l’existence de notre Père qui y est. Surtout, voilà que je commence à lui trouver des excuses. Foutre, que la Terre est belle vue de Dieu. Plus de gargouillement de ventre, plus de craquement d’articulation, plus d’odeur de pieds, plus de dégoulinement de sudation. On ne discerne pas les gorges qui râlent, les membres que l’on brise, les doigts qui se crispent, les entrailles qu’on pourfend, les yeux qui supplient, les tripes qu’on disperse. Rien que les mouvements amples et colorés du monde qui se déploie. Au sol, on croit apercevoir le divin dans le ciel, et à peine envolé, on constate qu’il en a fait de même, et nous voilà scrutant la terre où il vient de se poser. »

Comme j’ai la gorge sèche, je décide d’épargner ces détails à Coulibaly, me contentant d’un plus sobre « très bien, juste un peu fatigué ». C’est là un mensonge éhonté. En réalité, je suis à la fois exténué et surexcité. Les yeux grands ouverts, les cheveux dans le vent qui s’engouffre par la fenêtre, je savoure. Les nuées de motos qui vrombissent autour de nous. Les couleurs pastels qui ornent la façade des bâtiments. La fierté dans le regard des passants qui me dévisagent. Et la poussière ocre qui macule absolument tout. Nous quittons le centre-ville et les bâtiments cèdent la place aux minuscules échoppes et aux petits baraquements. Imagine est situé dans un quartier populaire en périphérie. Ilot de richesse occidentalisé au milieu d’un océan de pauvreté. La chambre à laquelle on me conduit dispose d’une télé, d’une clim, d’un ventilo, et de sanitaires. Pas vraiment ce à quoi je m’attendais. A l’extérieur, par la fenêtre, je peux voir passer une petite vendeuse de fruits, un plateau d’orange sur la tête, marchant à pas lents et mesurés dans la chaleur étouffante de l’après-midi, sur une route de terre défoncée.
Je suis à Ouaga. Ouaga la rouge.

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