Au Burkina,
les bières font 65cl et coûtent de 600 à 800 Francs CFA suivant la marque (Flag, Castel, Brakina, Sobebra entre autres).
Au Burkina,
tu te prends des cuites à la bière. D'abord parce qu'avec la chaleur, c'est possible. Ensuite parce que dans la plupart des rades il n'y a que ça. Et puis parce que ça te permet de passer ta soirée aux chiottes et donc de te faire plein d'amis, et après tout c'est bien pour ça que tu es venu. Enfin parce que la gueule de bois au pastis, quand tu émerge sur les coups de 10h par 35°, que tu nage littéralement dans ta sueur et que tu réalise que l'on a profité de ton sommeil pour remplacer ta gorge par du papier de verre, franchement, tu prends rapidement l'habitude d'éviter, autant que possible.
Au Burkina,
parfois, quand tu vas te coucher un peu beurré, tu te poses des questions existentielles d'un genre très particulier. Par exemple : "Foutre Dieu, ce ventilateur a le grand mérite de me dispenser une fraîcheur pour la moins bienvenue. Cela je l'admets et le concède bien volontiers. Toutefois, ne soyons pas naïfs. A en juger par le vacarme infernal et la trajectoire chaloupée de ses pales, il n'a clairement jamais été aussi proche de se décrocher. Admettons que cela se produise à l'aube, en pleine crise de priapisme. Comment m'assurer d'être à cet instant couché dans une position m'assurant d'échapper à l'émasculation ?"
Au Burkina,
parfois, le soir, tu as du mal à t'endormir.
Au Burkina,
tout est cassé. Ou presque. Les routes, les immeubles, les maisons, les bagnoles, les motos, les gens, les bêtes. La pédale de ton vélo est cassée. Le regard de l'enfant des rues qui agite sans conviction sa timbale ébréchée sous ton nez est cassé. La patte de la chèvre des voisins est cassée. L'incisive droite du type qui te sourit en passant est cassée. Le feu rouge au carrefour voisin est cassé.
Au Burkina,
on répare tout. Ou presque.
Au Burkina,
la musique est rétro à mort. Du genre. Tu es affalé sur ta chaise en inox. Inondé de bière et de mauvaise musique ivoirienne. Fumant une autre mauvaise cigarette. Les yeux au vent. L’esprit vagabondant sur des terres inconnues. Dépaysé. Pas seulement géographiquement. Etranger à ton corps. Existant par intermittences, seulement là où ton regard se pose. Evitant subtilement les tessons de bouteilles parsemant les murs de l’enceinte du maquis. Se glissant dans les corsages de jeunes filles même plus jolies se déhanchant sur la piste. Louvoyant aux bords du goulot d’une bouteille de bière vide sans naturellement oser t’y jeter. Espérant secrètement que l’un d’entre nous sonne l’heure de la retraite sans avoir le courage de l’être. Arpentant des hectares de chair mélanoderme à la recherche d’une épiphanie. Et soudain. Sans prévenir. Telle la plus abjecte des éjaculations. Foutre Dieu mes chers loupiots, me croirez-vous ? Céline Dion, j’irais chercher ton cœur. Tu paniques. Songe à plonger. Dans le feu. Dans les flammes. T’enfuir. Merde. Tu n’as pas fuis l’Occident jusque dans ce rade miteux pour t’entendre parler québécois. Dans un accès de folie, tu demandes l’asile politique à la Moldavie. Mal t’en prend. Arrive Dragostea Din Tei. Tu hurles à la conspiration. T’insurges contre ces mesures crypto-nazies. Appelles J. Jaurès, Rosa L. et autres Malcolm X. à la rescousse. Rien n’y fait. Souffrant toutes les géhennes du monde, passées et à venir, tu t’enfuis.
Au Burkina,
il n’y a pas dire, la mondialisation, c’est vraiment de la merde.
Au Burkina,
tu manges avec les doigts. La plupart du temps de la main droite. Sauf quand tu es de sale humeur et que as envie de faire chier ton monde en affichant ostensiblement le fait que toi, tu n'es pas superstitieux, et qu'aujourd'hui, en bon jeune imbécile, tu as la ferme intention de heurter les sensibilités et croyances de tout un chacun.
Au Burkina,
tu te rends vite compte qu'étrangement tu as beaucoup moins souvent les mains fourrées dans ton caleçon.
Au Burkina,
tu propose toujours de partager ce que tu manges. C'est d'ailleurs souvent le cas en France aussi. Seulement ici, les gens n'ont que rarement l'élémentaire courtoisie de décliner ton invitation. C'est d'ailleurs ce qui est pesant. La plupart du temps, les gens pensent ce qu'ils disent. Quand on te demande comment ça va, ou comment s'est passée ta journée, on attend de toi une vraie réponse et pas un vague "ça va merci". Et il faut se méfier car quand tu demandes à quelqu'un comment il va, il peut se sentir le droit de répondre par la négative, en toute franchise et sans le moindre respect de l'aseptisation sociale par l'hypocrisie et la politesse surfaite. Une agressivité parfois à la limite du supportable.
Au Burkina,
tu te retrouve forcé de réapprendre une dimension des relations humaines que l'on t'avait pourtant soigneusement fait oublier.
Au Burkina,
entre deux crises de réminiscence par la voie maïeutique, tu te fais aux traditions étranges des autochtones. Les abonnements téléphoniques n'existent pas pour les portables. On ne trouve que des cartes prépayées. Idem pour mon compteur d'électricité. Il existe des compteurs permettant une facturation au mois, mais pour le mien, il faut acheter une recharge et composer un code pour le créditer. Et comme les magasins vendant ces précieux sésames sont fermés le week-end, il vaut mieux disposer en permanence d'une recharge d'avance. Dans les bars, tu payes tes consommations au moment où tu passes ta commande.
Au Burkina,
on se méfie des pauvres.
Au Burkina,
il n'y a pas de grandes surfaces, à peu d'exceptions près. A Ouaga, tu trouves un supermarché, Karina Market, dont les prix prohibitifs n'en permettent l'accès qu'aux blancs et à l'élite africaine, ainsi que quelques rares grands magasins, tous situés en centre-ville. Les commerces se situent pour l'essentiel dans les centaines de petites épiceries, et bien évidemment sur les nombreux marchés. Mais il y a surtout un nombre absolument ahurissant de vendeurs ambulants qui sillonnent la ville à pied, voire à vélo, encombrés des chargements les plus divers. Tu trouves des marchands ambulants de cigarettes, de fruits, de mouchoirs, d'unités téléphoniques, mais aussi de chaussures, de vêtements, d'allume-gaz, de rideaux, de balais et ainsi de suite. C'est bien simple, pour équiper un appartement, tu peux utiliser une technique extrêmement simple. Elle consiste à t'asseoir en terrasse au Cristal Rouge à l'heure du retour des marchands ambulants du centre-ville, et à demander à Yama ou à un(e) autre burkinabè, au pire à Abdeslam, de négocier ce qu'il te faut quand passe le vendeur approprié (bien souvent les prix grimpent si tu n'es, comme Abdeslam, pas burkinabé, et explosent bien sûr, si en plus de ne pas être du pays, il te prends l'idée incongrue d'être blanc). Tu peux ainsi acquérir entre autre de la vaisselle, des éponges, des seaux, des draps, des tapis sans même avoir à décoller tes fesses de ta chaise.
Au Burkina, si tu ne vas pas au supermarché, ses rayons parviennent jusqu'à toi.
Au Burkina,
l'antonomase est la règle. Tu ne bois pas de thé et encore moins de café, mais un lipton ou un nescafé. Même si le thé en question est de la marque Dinah, et le café un Carte Noir. Cela dit, il n'y pas de Carte Noire. Tu ne trouves pas de mouchoirs mais les marchands ambulants te proposeront certainement des lotus. Et vlan, dans les dents de Kleenex. Vous vous lavez avec du savon, ici tu n'utilises que du saintex. Le vélo devient souvent un peugeot.
Au Burkina,
les multinationales baignent en plein rêve.
Au Burkina,
n’importe quel concert est un happening. Tu n’y verras jamais un artiste encourager le public à se lever, à marquer la cadence en frappant des mains, à se lever ou à danser. Pour une excellente raison : en règle général, l’artiste en question est trop occupé à beugler pour chanter plus fort que le public et slalomer entre ceux ayant décidé unilatéralement d’envahir la scène. Ne parlons pas des artistes commettant l’erreur d’essayer d’engager la conversation avec l’assistance, transformant ainsi la salle en Ecclésia improvisée à en faire rougir la Pnyx. Tu comprends mieux pourquoi Alfred Jarry disait « Je ne comprends pas qu'on laisse entrer les spectateurs des six premiers rangs avec des instruments de musique. ». Il n’y en a effectivement nul besoin. Le véritable spectacle n’est que rarement sur scène. Et lorsqu’au beau milieu du bordel le plus complet, sur celle-ci, s’amène le représentant de l’entreprise sponsor du concert pour y faire un discours promotionnel, tu comprends tout le sens de la notion de bronca.
Au Burkina, les multinationales feraient quand même mieux de se méfier. Sait-on jamais…
vendredi 27 février 2009
lundi 2 février 2009
Les africains
C'est bien connu. Des esprits bien pensants vous diront certainement le contraire, mais moi qui suis allé constater les choses de visu, je peux vous le dire franchement.
Les africains sont des fainéants.
Prenez Abdeslam et Yama par exemple. Pour peu qu'ils n'aient pas à refaire les stocks, ils ouvrent le Cristal Rouge à 10 heures. Et comme ils travaillent sept jours par semaine, cela fait donc autant de grasses matinées. Et dès 23 heures, ils peuvent commencer à refuser les nouveaux clients. Bien souvent, ils ont achevé de fermer le restaurant avant 1 heure du matin, ce qui leur laisse au bas mot 8 heures de sommeil. Pas de quoi se plaindre me diriez-vous ? Et bien sachez que parfois, quand vous vous y pointez aux alentours de 4 ou 5 heures de l'après-midi, dans la période creuse où le client se fait rare, vous les trouvez allongés à même le sol dans l'arrière-boutique, en train de dormir à poings fermés. Epuisés par des journées de 13 heures ! On croirait rêver. Et même si ceux-là sont des privilégiés, et que la plupart des autres ont des horaires un tant soit peu plus contraignants, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des fainéants.
Les africains sont des incompétents.
Prenez ces fillettes qui font du marchandage ambulant par exemple. Croyez moi elles n'ont pas fait HEC ni même une vulgaire sup de co. Aucun effort de présentation du produit ! Les fruits sont posés à même le plateau, sans aucun artifice. Pas de paillette, pas d'ornement en plastique, pas même un slogan accrocheur. Aucun effort de présentation de la vendeuse ! Pas de tenue sexy, pas de rouge à lèvre aguicheur. Des haillons et la poussière comme unique maquillage. Et ne parlons même pas de l'attitude ! Un bon vendeur apparaît confiant, sûr de lui. Il vous fait véritablement une fleur en acceptant de bien vouloir vous céder ses produits. Et pour vous convaincre de cela, il a à sa disposition le baratin d'usage. Ces filles ont l'air d'avoir peur que vous n'achetiez pas leur marchandise. Si ce n'est leurs yeux qui supplient, elles sont complètement inexpressives. A les voir, on croirait vraiment que leur repas du jour dépend de votre bon vouloir. Absolument aucune notion de merchandising ! Et même si d'autres vendeurs ont parfois un peu plus d'emphase, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des incompétents.
Les africains sont des imbéciles.
Prenez tous ces ignorants qui viennent me demander des éclaircissements sur la crise financière par exemple. Quand je leur parle flux de capitaux, dévalorisation des titres, bulle spéculative ou crise de l'investissement, si vous saviez le temps qu'il leur faut pour me comprendre ! Et une fois que c'est le cas, ils sont toujours à côté de la plaque. Ils me demandent pourquoi un changement de chiffre sur un écran d'ordinateur provoque la hausse du prix d'un sac de riz. Ils me demandent pourquoi alors que les facteurs de productions sont inchangés la production s'effondre (évidemment pas en ces termes). Ils me demandent pourquoi la faillite d'une banque américaine réduit le produit de leurs exportations de coton à peau de chagrin. Ils me demandent pourquoi on appelle récession une baisse de 0,3% du PIB, arguant que produire 0,3% de moins que l'année précédente, c'est toujours produire 99,7% de plus que ce que l'on avait au début de l'année. Ils me demandent pourquoi quand l'Occident grimace, l'Afrique hurle. Aucune notion de l'interdépendance des marchés ni des liens entre flux financiers et économie réelle. Et même si la plupart d'entre eux intègrent très vite ce que je leur explique, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des imbéciles.
Les africains sont des égoïstes.
Prenez ces éplorés qui regardent les images de la guerre à Gaza par exemple. Bien sûr, ils sont choqués. Abasourdis par la violence des reportages. Ils sont volontiers prêts à s'insurger contre le massacre d'innocents, peu importe le bord d'ailleurs. Mais est-ce vous pensez qu'il leur viendrait à l'idée d'organiser une manifestation appelant à la cessation des combats ? Croyez-vous qu'ils organiseraient une collecte en faveur des populations civiles touchées ? Et quand on leur explique que les gazaouis vivent dans des conditions terribles, manque de nourriture, manque d'essence, manque d'eau potable, écoles fermées, savez-vous ce qu'ils répondent ? Qu'au Burkina-Faso, les gens crèvent de faim, des maladies liées à l'insalubrité de l'eau, que les écoles, même les rares publiques, sont hors de prix, et ce depuis plus de vingt ans. Et que les convois humanitaires bloqués à la frontière palestinienne n'ont qu'à venir ici, où ils seraient bien reçus. On a beau leur expliquer qu'il n'y a pas de gradation à faire devant l'horreur, que les centaines de victimes des affrontements des dernières semaines valent autant que les 20000 personnes qui meurt de faim chaque jour dans le monde, et leur exposer toute la mesquinerie de leur jugement, rien n'y fait. Même quand on leur parle du sort des journalistes privés de couverture directe du conflit, ils répondent qu'ils feraient bien de venir faire un tour par ici, pour décrire les conditions de vie sans le poids de la censure de la dictature burkinabé. Et même si leurs accents d'indigation face à la boucherie sonnent juste, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des égoïstes.
Les africains sont des assistés.
Prenez ces hordes d'enfants des rues qui grouillent littéralement dans toute la ville par exemple. L'immense majorité d'entre eux sont des orphelins, dont les parents ont souvent été victimes soit du SIDA, soit de la famine. Quoi qu'il en soit, on peut se dire que eux n'ont pas été éduqués dans une logique de dépendance. On pourrait donc penser qu'ils sauraient choisir une autre voie que celle de l'assistanat. Et bien détrompez-vous. Tous des mendiants ! Alors qu'ils ont 7, 8 parfois même 10 ans. C'est-à-dire l'âge de travailler. Evidemment le taux de chômage dépasse les 25% à Ouaga. Mais du travail, il y en a, pour qui veut bien s'en donner la peine. Les mines d'or du Nord du pays sont particulièrement friandes d'enfants, dont la petite taille est adaptée au travail dans les étroits boyaux. Certes, les conditions de travail sont particulièrement dures, la sécurité inexistante et l'espérance de vie d'un mineur extrêmement courte. Mais quoi, dans ce monde on a rien sans rien ! Mais non, ces profiteurs préfèrent demander l'aumône. Et ils en sont encouragés par les adultes, qui ne rechignent presque jamais à leur tendre une pièce chèrement gagnée. Et même si le premier milliardaire du Burkina Faso est un ancien mendiant, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des assistés.
Les africains sont de grands enfants.
Prenez Abdeslam par exemple. Marié à 19 ans, père à 21. Certes il s'est exilé pour subvenir aux besoins de sa petite famille. Mais il a fallu qu'il demande à être payé une fois par an pour être sûr de ne pas être tenté de tout dépenser mois après mois pour son propre plaisir. Il a 25 ans et il pense encore à faire la fête. Aucun sens des responsabilités. D'ailleurs ici, tout le monde a l'air très jeune. On me dit qu'à cause des carences alimentaires et des maladies non traitées, les gens n'ont pas le loisir de connaître une croissance adéquate. Du coup les trentenaires ont l'air de tout juste sortir de l'adolescence. Pour accroître l'illusion, ici il n'y pas de vieillards. Evidemment c'est essentiellement parce que l'espérence de vie moyenne peine à dépasser les 40 ans. Et ils se plaignent. Alors qu'à l'ère du jeunisme, ils ont pris une longueur d'avance ! Et même si nombre de gamins ici ont déjà la peur de la mort dans les yeux, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont de grands enfants.
Les africains sont des ingrats.
Prenez tous ces étudiants qui critiquent la France par exemple. La France a apporté la civilisation aux burkinabés. En les déportant massivement vers les plantations ivoiriennes au début du siècle, elle leur a permis de mettre à contribution leurs talents d'agriculteurs. En les embrigadant de force dans les troupes françaises durant les deux guerres mondiales (les burkinabés ont constitué le gros des troupes des tirailleurs dits sénégalais), elle leur a donné la chance de voyager, et de donner leur sang pour la gloire de la France. En empêchant le Burkina Faso de former un vaste ensemble avec le Sénégal, le Bénin, le Mali, le Niger, la Mauritanie et la Côte d'Ivoire lors de l'accession à l'indépendance, elle leur a permis de disposer de leur propre pays. Certes enclavé, certes au mépris de la localisation des peuples, certes ne disposant de presque aucune ressouce naturelle et d'aucun poids politique à l'échelle internationale, mais un pays quand même. En les débarassant de Thomas Sankara, le "Che africain", elle les a empêché de basculer dans l'horreur marxiste. En soutenant sans réserve depuis 21 ans le régime de Blaise Compaoré, elle leur a permis de vivre sous un régime autoritaire et paternaliste, adapté à leur nature primaire. Certes, l'empire Mossi qui préexistait n'avait lui rien d'une dictature, laissait une large part à la démocratie locale et disposait d'une Cour Constitutionnelle. Mais la France leur a apporté la République, certes une République dictatoriale, mais la République quand même. Et même si avec la civilisation, elle a amené la famine et le paludisme et bien que les français soient toujours très bien accueillis ici, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des ingrats.
Les africains sont des sauvages.
Prenez ce qui ressort des conversations politiques par exemple. Depuis 1987 et l'assassinat de Thomas Sankara, le président est Blaise Compaoré. Certes commanditaire du meutre. Mais plus de vingt ans de concorde civile et de stabilité politique, sur le continent africain, c'est plutôt de l'ordre de l'exception. Pensez-vous qu'ils en seraient reconnaissants ? Rien du tout ! Ils expliquent que durant cette période, la seule chose qui se soit développée, c'est le compte en banque de leurs dirigeants, et que le niveau de vie dans les années 80 était plus élevé qu'aujourd'hui. Ils en viennent même à regretter Sankara, cet excité qui prônait la répartition des richesses et l'abolition du pouvoir féodal. Ce réctionnaire prétendument révolutionnaire qui prônait l'autosuffisance alimentaire par le développement de l'agriculture vivrière à l'heure de l'essor de la mondialisation. Cet utopiste qui rêvait des Etats-Unis d'Afrique. Cet inculte qui n'avait à ce point aucune notion des convenances qu'il avait fait remplacé les limousines présidentielles par des modèles bas-de-gamme et faisait voyager ses ministres en classe économique. Ce voleur qui prétendait que l'Afrique n'avait pas à payer la dette et exhortait les autre dirigeants africains à lui emboîter le pas. Tous les ans, en décembre, ils commémorent la mort de Norbert Zongo, journaliste opposant brûlé vif dans sa voiture pour avoir eu le mauvais goût d'enquêter d'un peu trop près sur le meutre du chauffeur de François Campaoré, frère cadet du président. Cela a eu lieu en 1998. Pour continuer les commémorations plus d'une décennie plus tard, il faut vraiment être rancunier et avoir la vengance dans le sang, non ? Cette soif de violence est telle qu'alors que Blaise Compaoré est en train de préparer à sa succession son frère François, augurant peut-être ainsi de 20 ans de paix supplémentaire, les burkinabés semblent dubitatifs. Il en est même parmi eux qui disent qu'ils ne le laisseront pas faire. Par les armes s'il le faut. Et même si les diatribes sont plus resignées que belliqueuses, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des sauvages.
Et si je dis les africains alors que je ne connais de l'Afrique que les burkinabés, c'est parce que c'est bien suffisant pour se forger une opinion générale. Car même si le continent africain est sans nul doute le plus riche en termes de variations géographiques, culturelles ou ethniques, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'un noir reste un noir.
Les africains sont des fainéants.
Prenez Abdeslam et Yama par exemple. Pour peu qu'ils n'aient pas à refaire les stocks, ils ouvrent le Cristal Rouge à 10 heures. Et comme ils travaillent sept jours par semaine, cela fait donc autant de grasses matinées. Et dès 23 heures, ils peuvent commencer à refuser les nouveaux clients. Bien souvent, ils ont achevé de fermer le restaurant avant 1 heure du matin, ce qui leur laisse au bas mot 8 heures de sommeil. Pas de quoi se plaindre me diriez-vous ? Et bien sachez que parfois, quand vous vous y pointez aux alentours de 4 ou 5 heures de l'après-midi, dans la période creuse où le client se fait rare, vous les trouvez allongés à même le sol dans l'arrière-boutique, en train de dormir à poings fermés. Epuisés par des journées de 13 heures ! On croirait rêver. Et même si ceux-là sont des privilégiés, et que la plupart des autres ont des horaires un tant soit peu plus contraignants, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des fainéants.
Les africains sont des incompétents.
Prenez ces fillettes qui font du marchandage ambulant par exemple. Croyez moi elles n'ont pas fait HEC ni même une vulgaire sup de co. Aucun effort de présentation du produit ! Les fruits sont posés à même le plateau, sans aucun artifice. Pas de paillette, pas d'ornement en plastique, pas même un slogan accrocheur. Aucun effort de présentation de la vendeuse ! Pas de tenue sexy, pas de rouge à lèvre aguicheur. Des haillons et la poussière comme unique maquillage. Et ne parlons même pas de l'attitude ! Un bon vendeur apparaît confiant, sûr de lui. Il vous fait véritablement une fleur en acceptant de bien vouloir vous céder ses produits. Et pour vous convaincre de cela, il a à sa disposition le baratin d'usage. Ces filles ont l'air d'avoir peur que vous n'achetiez pas leur marchandise. Si ce n'est leurs yeux qui supplient, elles sont complètement inexpressives. A les voir, on croirait vraiment que leur repas du jour dépend de votre bon vouloir. Absolument aucune notion de merchandising ! Et même si d'autres vendeurs ont parfois un peu plus d'emphase, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des incompétents.
Les africains sont des imbéciles.
Prenez tous ces ignorants qui viennent me demander des éclaircissements sur la crise financière par exemple. Quand je leur parle flux de capitaux, dévalorisation des titres, bulle spéculative ou crise de l'investissement, si vous saviez le temps qu'il leur faut pour me comprendre ! Et une fois que c'est le cas, ils sont toujours à côté de la plaque. Ils me demandent pourquoi un changement de chiffre sur un écran d'ordinateur provoque la hausse du prix d'un sac de riz. Ils me demandent pourquoi alors que les facteurs de productions sont inchangés la production s'effondre (évidemment pas en ces termes). Ils me demandent pourquoi la faillite d'une banque américaine réduit le produit de leurs exportations de coton à peau de chagrin. Ils me demandent pourquoi on appelle récession une baisse de 0,3% du PIB, arguant que produire 0,3% de moins que l'année précédente, c'est toujours produire 99,7% de plus que ce que l'on avait au début de l'année. Ils me demandent pourquoi quand l'Occident grimace, l'Afrique hurle. Aucune notion de l'interdépendance des marchés ni des liens entre flux financiers et économie réelle. Et même si la plupart d'entre eux intègrent très vite ce que je leur explique, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des imbéciles.
Les africains sont des égoïstes.
Prenez ces éplorés qui regardent les images de la guerre à Gaza par exemple. Bien sûr, ils sont choqués. Abasourdis par la violence des reportages. Ils sont volontiers prêts à s'insurger contre le massacre d'innocents, peu importe le bord d'ailleurs. Mais est-ce vous pensez qu'il leur viendrait à l'idée d'organiser une manifestation appelant à la cessation des combats ? Croyez-vous qu'ils organiseraient une collecte en faveur des populations civiles touchées ? Et quand on leur explique que les gazaouis vivent dans des conditions terribles, manque de nourriture, manque d'essence, manque d'eau potable, écoles fermées, savez-vous ce qu'ils répondent ? Qu'au Burkina-Faso, les gens crèvent de faim, des maladies liées à l'insalubrité de l'eau, que les écoles, même les rares publiques, sont hors de prix, et ce depuis plus de vingt ans. Et que les convois humanitaires bloqués à la frontière palestinienne n'ont qu'à venir ici, où ils seraient bien reçus. On a beau leur expliquer qu'il n'y a pas de gradation à faire devant l'horreur, que les centaines de victimes des affrontements des dernières semaines valent autant que les 20000 personnes qui meurt de faim chaque jour dans le monde, et leur exposer toute la mesquinerie de leur jugement, rien n'y fait. Même quand on leur parle du sort des journalistes privés de couverture directe du conflit, ils répondent qu'ils feraient bien de venir faire un tour par ici, pour décrire les conditions de vie sans le poids de la censure de la dictature burkinabé. Et même si leurs accents d'indigation face à la boucherie sonnent juste, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des égoïstes.
Les africains sont des assistés.
Prenez ces hordes d'enfants des rues qui grouillent littéralement dans toute la ville par exemple. L'immense majorité d'entre eux sont des orphelins, dont les parents ont souvent été victimes soit du SIDA, soit de la famine. Quoi qu'il en soit, on peut se dire que eux n'ont pas été éduqués dans une logique de dépendance. On pourrait donc penser qu'ils sauraient choisir une autre voie que celle de l'assistanat. Et bien détrompez-vous. Tous des mendiants ! Alors qu'ils ont 7, 8 parfois même 10 ans. C'est-à-dire l'âge de travailler. Evidemment le taux de chômage dépasse les 25% à Ouaga. Mais du travail, il y en a, pour qui veut bien s'en donner la peine. Les mines d'or du Nord du pays sont particulièrement friandes d'enfants, dont la petite taille est adaptée au travail dans les étroits boyaux. Certes, les conditions de travail sont particulièrement dures, la sécurité inexistante et l'espérance de vie d'un mineur extrêmement courte. Mais quoi, dans ce monde on a rien sans rien ! Mais non, ces profiteurs préfèrent demander l'aumône. Et ils en sont encouragés par les adultes, qui ne rechignent presque jamais à leur tendre une pièce chèrement gagnée. Et même si le premier milliardaire du Burkina Faso est un ancien mendiant, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des assistés.
Les africains sont de grands enfants.
Prenez Abdeslam par exemple. Marié à 19 ans, père à 21. Certes il s'est exilé pour subvenir aux besoins de sa petite famille. Mais il a fallu qu'il demande à être payé une fois par an pour être sûr de ne pas être tenté de tout dépenser mois après mois pour son propre plaisir. Il a 25 ans et il pense encore à faire la fête. Aucun sens des responsabilités. D'ailleurs ici, tout le monde a l'air très jeune. On me dit qu'à cause des carences alimentaires et des maladies non traitées, les gens n'ont pas le loisir de connaître une croissance adéquate. Du coup les trentenaires ont l'air de tout juste sortir de l'adolescence. Pour accroître l'illusion, ici il n'y pas de vieillards. Evidemment c'est essentiellement parce que l'espérence de vie moyenne peine à dépasser les 40 ans. Et ils se plaignent. Alors qu'à l'ère du jeunisme, ils ont pris une longueur d'avance ! Et même si nombre de gamins ici ont déjà la peur de la mort dans les yeux, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont de grands enfants.
Les africains sont des ingrats.
Prenez tous ces étudiants qui critiquent la France par exemple. La France a apporté la civilisation aux burkinabés. En les déportant massivement vers les plantations ivoiriennes au début du siècle, elle leur a permis de mettre à contribution leurs talents d'agriculteurs. En les embrigadant de force dans les troupes françaises durant les deux guerres mondiales (les burkinabés ont constitué le gros des troupes des tirailleurs dits sénégalais), elle leur a donné la chance de voyager, et de donner leur sang pour la gloire de la France. En empêchant le Burkina Faso de former un vaste ensemble avec le Sénégal, le Bénin, le Mali, le Niger, la Mauritanie et la Côte d'Ivoire lors de l'accession à l'indépendance, elle leur a permis de disposer de leur propre pays. Certes enclavé, certes au mépris de la localisation des peuples, certes ne disposant de presque aucune ressouce naturelle et d'aucun poids politique à l'échelle internationale, mais un pays quand même. En les débarassant de Thomas Sankara, le "Che africain", elle les a empêché de basculer dans l'horreur marxiste. En soutenant sans réserve depuis 21 ans le régime de Blaise Compaoré, elle leur a permis de vivre sous un régime autoritaire et paternaliste, adapté à leur nature primaire. Certes, l'empire Mossi qui préexistait n'avait lui rien d'une dictature, laissait une large part à la démocratie locale et disposait d'une Cour Constitutionnelle. Mais la France leur a apporté la République, certes une République dictatoriale, mais la République quand même. Et même si avec la civilisation, elle a amené la famine et le paludisme et bien que les français soient toujours très bien accueillis ici, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des ingrats.
Les africains sont des sauvages.
Prenez ce qui ressort des conversations politiques par exemple. Depuis 1987 et l'assassinat de Thomas Sankara, le président est Blaise Compaoré. Certes commanditaire du meutre. Mais plus de vingt ans de concorde civile et de stabilité politique, sur le continent africain, c'est plutôt de l'ordre de l'exception. Pensez-vous qu'ils en seraient reconnaissants ? Rien du tout ! Ils expliquent que durant cette période, la seule chose qui se soit développée, c'est le compte en banque de leurs dirigeants, et que le niveau de vie dans les années 80 était plus élevé qu'aujourd'hui. Ils en viennent même à regretter Sankara, cet excité qui prônait la répartition des richesses et l'abolition du pouvoir féodal. Ce réctionnaire prétendument révolutionnaire qui prônait l'autosuffisance alimentaire par le développement de l'agriculture vivrière à l'heure de l'essor de la mondialisation. Cet utopiste qui rêvait des Etats-Unis d'Afrique. Cet inculte qui n'avait à ce point aucune notion des convenances qu'il avait fait remplacé les limousines présidentielles par des modèles bas-de-gamme et faisait voyager ses ministres en classe économique. Ce voleur qui prétendait que l'Afrique n'avait pas à payer la dette et exhortait les autre dirigeants africains à lui emboîter le pas. Tous les ans, en décembre, ils commémorent la mort de Norbert Zongo, journaliste opposant brûlé vif dans sa voiture pour avoir eu le mauvais goût d'enquêter d'un peu trop près sur le meutre du chauffeur de François Campaoré, frère cadet du président. Cela a eu lieu en 1998. Pour continuer les commémorations plus d'une décennie plus tard, il faut vraiment être rancunier et avoir la vengance dans le sang, non ? Cette soif de violence est telle qu'alors que Blaise Compaoré est en train de préparer à sa succession son frère François, augurant peut-être ainsi de 20 ans de paix supplémentaire, les burkinabés semblent dubitatifs. Il en est même parmi eux qui disent qu'ils ne le laisseront pas faire. Par les armes s'il le faut. Et même si les diatribes sont plus resignées que belliqueuses, on ne m'enlèvera pas de l'idée que les africains sont des sauvages.
Et si je dis les africains alors que je ne connais de l'Afrique que les burkinabés, c'est parce que c'est bien suffisant pour se forger une opinion générale. Car même si le continent africain est sans nul doute le plus riche en termes de variations géographiques, culturelles ou ethniques, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'un noir reste un noir.
mercredi 7 janvier 2009
En vrac
Bien. Après plus de 2 semaines passées ici, il est sans nul doute temps de dresser un premier bilan. En fait, j’ai bien du mal à choisir par où et comment commencer. Je vais donc me lancer dans une tentative de narration chronologico-thématique, où l’arbitraire règnera en maître. Au fait en parlant d’arbitraire, les dates de publication ne correspondent à peu près jamais à celle de rédaction, connexion internet en pointillée oblige.
L’Institut
Comme je l’ai déjà souligné, les bâtiments de l’Institut Imagine détonnent dans le paysage du quartier de Dhassasgo. Une bâtisse principale compacte de deux étages, flanquée de deux bâtiments plus récents de trois étages. Il faut marcher près de 10 minutes pour trouver un bâtiment de hauteur disons comparable. La bâtisse principale abrite une quarantaine de chambres destinées aux étudiants. Elles sont pour l’instant vides. En effet, l’Institut ne dispense aucune formation à l’année et fonctionne selon un système d’atelier. En l’occurrence, pas d’atelier, pas d’étudiant et des locaux quasi-déserts. Signalons tout de même une demi-douzaine de réalisateurs en herbes travaillant sur un projet de court-métrage d’animation qu’ils souhaitent présenter au festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, le Fespaco, qui aura lieu à partir de la mi-février. Voilà d’ailleurs l’occasion de signaler ici qu’à mon grand regret l’Institut Imagine ne forme pas à la guérilla urbaine bolchévico-anarcho-écologiste spécialisée dans le détournement de pédalos et l’empoisonnement à la sauce béchamel, mais bel et bien aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel (www.imagine.bf pour plus de renseignements sur ce projet réellement original et ambitieux). A noter parmi cette bande de futurs talents la présence de Bob, québécois de 27 ans, remarquable car il était le seul représentant de l’ethnie caucasienne résidant à Imagine jusqu’à mon arrivée. Le reste de l’équipe d’Imagine est constituée de burkinabés : Christine la secrétaire, Seydou et Jean-Pierre qui s’occupent de l’entretien, Gaspard et Alain respectivement gardien de jour et de nuit, Mouloungui le directeur adjoint, et enfin Gérard, dont je n’ai absolument aucune idée de la fonction hormis celle d’être extrêmement sympathique. A cette petite troupe s’ajoute Juliette, notre adorable femme de ménage.
Voilà pour l’équipe. Enfin manque ici François Sambaoré, célèbre réalisateur burkinabé, fondateur et directeur de l’Institut et accessoirement mon maître de stage. S’il manque, c’est que je n’ai eu l’occasion de le voir que quelques heures depuis mon arrivée, l’essentiel de son métier consistant à parcourir le monde pour présenter son école et récolter des fonds. Je suis arrivé le 2, lui est arrivé le 4 pour repartir le 5, et ne sera de retour que le 25. Et comme mon boulot est de lui servir d’assistant, forcément je n’ai rien à faire. Ou presque. Je passe quelques petites heures par jours à lui enregistrer des bouquins sur magnétophone. En effet, l’infortuné cinéaste perd la vue et la lecture lui coûte beaucoup d’effort. Ces enregistrements lui évitent cette souffrance. Je suis donc désœuvré l’essentiel de mes journées. L’inconvénient, c’est qu’il m’est difficile de m’intégrer dans ces conditions à la vie de l’Institut. La machine fonctionne parfaitement sans moi et j’ai, malgré la gentillesse des uns et des autres, la désagréable sensation d’être un vilain grain de sable dans un rouage bien huilé. L’avantage, c’est que j’ai tout le temps de découvrir la ville.
Le Tabaski
Le Tabaski, c’est l’Aïd-el-kébir, donc une fête musulmane. Les chiffres de la répartition confessionnelle de la population burkinabè varient beaucoup selon les sources. 47% d’animistes, 31% de musulmans, les 22% restants se répartissant entre catholiques et protestants d’après le recensement national de 96. Les chiffres d’une enquête de la CIA datant de début 2008 sont sensiblement différents : 50% de musulmans, 41% d’animistes et moins de 10% d’honnêtes chrétiens. Pour ma part, à la lumière des conversations que j’ai pu avoir, je trouve incroyablement stupide de se lancer dans cet inventaire, tout au moins en posant des délimitations aussi strictes, dans la mesures où musulmans comme chrétiens sont empreints de culture et de croyances animistes, sans même parler de ces foutues bandes de Ras Tafaris qui arpentent les rues et pour qui Jah, Jésus, Allah, Yahvé, Bouddha, Bill Gates, Eric Clapton, Allen Ginsberg, Zinedine Zidane, ta mère et le magret de canard sauce framboise ne forment qu’un.
Quoi qu’il en soit, l’animisme est surtout répandu dans les campagnes. En ville, la majorité de la population est musulmane. Et le soir du Tabaski, tout le monde fait la fête. Mon pote Abdeslam en profite pour me faire visiter Ouaga by night. Départ en moto du Cristal rouge aux alentours de 18h. On commence par se rendre à la waka (maison) d’une famille d’amis à lui, dans un des plus anciens quartiers de la ville, l'un des plus pauvres aussi. Là-bas, une des filles se marre en m’expliquant que c’est la première fois qu’un blanc se pointe chez eux. Abdeslam discute avec le vieux père de famille en français, mais avec leur putain d’accent je dois m’accrocher de toutes mes forces pour comprendre la conversation. Quand on me demande quelque chose, je dois souvent les faire répéter plusieurs fois avant de pouvoir leur répondre. Le décor n’a pas grand-chose à voir avec l’Institut. Une petite cour en terre battue, quelques chaises sur une minuscule terrasse, un bâtiment bétonné de trois pièces de dimensions moyennes, aux murs et sols nus, une annexe de deux petites pièces pour la famille de l’aîné des fils. Une cinquantaine de mètres carrés en comptant la cour dans lesquels cohabitent une bonne quinzaine de personnes. La classe moyenne de Ouaga.
Après une bonne heure de palabres, on s’éclipse et Abdeslam m’amène dans mon premier maquis, le "King Kundé". Un peu de sémantique s'impose ici. Le maquis burkinabé n'est que l'homonyme, et en rien le synonyme, du maquis français. Il ne s'agit donc pas d'un trou perdu du Vercors où l'on a toute les chances de se faire dégommer par un marxisto-gaulliste fascistophobe pour peu que l'on ait la mauvaise idée de s'y promener entre 1941 et 1944 en arborant une moustache frisée et un imper kaki tout en lisant Goethe à haute voix en version originale. Non, ici, au Burkina Faso, il s'agit d'une sorte de mélange entre un bar, un restaurant et une boîte de nuit. Bien souvent, ils se situent dans une grande cour où quelques tables entourent une sorte de kiosque faisant office de piste de danse. Evidemment, le "King Kundé" est une exception. Une terrasse et une salle ressemblant en tous points à une boîte occidentale. On ne s'y attarde pas vraiment, Abdeslam doit repasser chez lui à Dhassasgo. Il règle rapidement je ne sais quelle affaire avec Yama, avant de me conduire au restaurant où nous dînons. Restes du repas du Tabaski, c'est-à-dire méchoui de mouton en salade. Ensuite, nous voilà reparti en moto vers le centre-ville. Cette fois-ci, mon pilote en profite pour me montrer le plan d'eau d'où provient l'eau du robinet. Je comprends mieux la sévérité féroce qui avait soudainement remplacé la bonhomie habituelle sur le visage de ma chère toubib, quand elle m'a dit d'un air solennel et autoritaire que je ne lui connaissais pas : "Ne bois pas l'eau du robinet là-bas. Je ne plaisante pas. Ne bois PAS l'eau du robinet." Sur les bords de cette mare géante, un hôtel Accor luxueux. Enfin luxueux... J'exagère. La piscine n'est même pas terminée, c'est dire. Mais quand elle le sera, je suis certain que son eau, même après des heures de barbotages de bambins incontinents et miasmeux, sera plus saine que celle qui coule dans les tuyauteries de la ville.
Arrivé au Matata, nous nous occupons de nos tuyauteries personnelles, ou plus exactement, nous les nettoyons à grand renfort de malt fermenté. Autour de nous, c'est un joyeux foutoir. Les gens circulent en tous sens, s'interpellent en beuglant, boivent à grandes gorgées, rient aux éclats. Et surtout, ils dansent. Partout. La piste est pleine. Ils dansent au comptoir en attendant l'arrivée de leur consommation. Ils dansent en faisant la queue pour aller aux chiottes. Ils dansent seuls, en couple ou entre potes. Ils dansent de façon très structurée. Les pas sont codifiés, et exigent une certaine concentration. Rien à voir avec les débauches anarchiques de bras et de jambes d'une soirée européenne. Je peux régulièrement voir un type ou une nana attablé se lever de leur chaise pour danser une dizaine de secondes avant de se rassoir. Et tant pis. Je vais faire dans le lieu commun. Car force m'est d'avouer que le spectacle d'une petite black faisant vibrer ses fesses en rythme a quelque chose de réellement hypnotique.
La circulation
Le quartier de l'Institut est situé à un peu moins de dix kilomètres du centre-ville. Un peu loin pour s'y rendre à pied. Les taxis pullulent, et pour 200 francs CFA la course, c'est-à-dire 40 centimes d'euro, il faudrait être pingre pour ne pas en profiter. Seulement voilà, non seulement je suis pingre, mais en plus pour une raison qui m'échappe, j'ai toujours détesté prendre le taxi, trouvant un je-ne-sais-quoi de déplacé à me faire conduire (par un vrai taxi, en revanche, j'adore me faire trimballer par mes potes, à leur grande exaspération). Sachant que je n'ai pas la moindre notion de la manière dont se conduit une moto et les aptitudes psychomotrices d'une palourde sclérosée, il ne me reste plus qu'une seule solution : le vélo.
Ce qui veut dire composer avec la circulation ouagalaise. Et franchement, vue de l'extérieur, c'est carrément flippant. Ouaga, c'est la ville de la moto. Enfin. Pour être honnête, c'est plutôt la ville de la mobylette. Plus de 700000 au dernier recensement, et environ 50000 nouvelles mises sur le marché chaque année, pour une ville comptant un peu plus d'un million d'habitants. Pour ce que j'ai pu constater, un ratio d'environ une douzaine de motos pour une voiture. Concrètement, cela signifie qu'à chaque fois qu'un feu passe au vert, on assiste à l'envol rageur d'un essaim de deux-roues furibondes.
J'ai d'abord pensé que ce ballet psychédélique n'obéissait à aucune règle. Puis, en y circulant, je me suis rapidement rendu compte que le bordel était causé par l'extrême densité du trafic, et pas par la conduite des ouagalais, qui est en fait très correcte. D'ailleurs, au bout de quelques temps, j'ai réalisé que j'étais le seul crétin à brûler allègrement les feux rouges, à doubler joyeusement par la droite, à conduire d'une seule main ou tout en grillant une clope. Toutefois, ici je ne roule pas sur les trottoirs, et ce essentiellement parce qu'il n'y en a pas. En tout cas, je suis petit à petit en train de perdre mes mauvaises habitudes d'écolier de petite ville et d'en adopter de nouvelles, plus adaptées à une métropole du Tiers-Monde.
Ce qui ne suffit malheureusement pas à éviter toutes les embûches. Il y a quelques jours, je revenais d'une course en bordure du centre-ville et j'étais en train de me faire doubler par une moto. Le conducteur avait embarqué une dizaine de poulets attachés par les pattes sur ces genoux. L'un de ces charmants volatiles a eu la curieuse idée de se détacher dans le seul et unique but de se précipiter sur ma roue avant. Déjouant avec habileté le plan de ce machiavélique gallinacé, je parviens non sans mal à éviter de me casser lamentablement la gueule sur le bitume (car le perfide poulet avait bien sûr choisi l'une des rares routes goudronnées de Ouaga pour faire son coup). Les gens se marrent devant mes acrobaties, et plus encore quand ils m'entendent brailler furieux "ibé nwaga de merde !", c'est-à-dire "fout-le-camp poulet de merde" à cette saleté de bestiole qui prend maintenant lâchement la fuite. Bref, les ouagalais conduisent plutôt bien, le vrai problème provient de la haine viscérale que semble ressentir les piafs locaux à mon égard.
La chaleur :
En ce moment, le Burkina est en pleine saison froide. Ce qui signifie que la température ne dépasse que rarement les 30°. Dans les premiers jours ayant succédés à mon arrivée, ce seuil était largement dépassé. Un ciel dégagé et le soleil a tout le loisir de frapper durement ceux qui se mettent dans son passage. Il y a régulièrement du vent dans la journée, qui tombe en général dans la soirée. Cependant, il s’agit d’un vent très sec, appelé l’Harmattan. Venant du désert, il ne rafraichît pas vraiment l’atmosphère mais contribue par contre à faire voler la fameuse poussière rouge de Ouaga. C’est très joli à regarder, par contre c’est très irritant pour le système respiratoire et très salissant. Ici tous les marchands ont des chiffons et généralement quand vous achetez quelque chose, ils commencent par y donner quelques coups vigoureux histoire de le dépoussiérer un peu.
La transition climatique a été assez difficile. L’essentiel des trois premières nuits ont été passé à accomplir un plan un quatre étapes :
1. Avoir trop chaud pour s’endormir.
2. Mettre en marche le ventilo.
3. Constater que le ventilo fait trop de boucan pour pouvoir dormir.
4. Arrêter le ventilo puis revenir à l’étape 1.
Toutefois, je me suis somme toute rapidement habitué, et je dors maintenant plutôt bien. Moi qui suis d’ordinaire insomniaque chronique, je m’endors même avec une facilité que je n’avais plus eue depuis des années.
La température a également été pour moi source d’un étonnement proche de l’ahurissement, quand je me suis rendu compte que la plupart des gens trouvent qu’il fait froid. Non pas qu’il fait moins chaud que le reste de l’année, non, qu’il fait froid. Par 30°, alors que je transpire en T-shirt et pantacourt, mes potes portent deux, voire trois couches de vêtements ! Mais le plus drôle est à venir. Depuis maintenant une petite semaine, les nuages encombrent le ciel toute la journée. De fait, il fait un peu moins chaud, ce qui est agréable mais préjudiciable au développement de mon bronzage, alors même que je venais de découvrir un moyen d’accéder sans risque au toit de l’Institut. Mais ce n’est pas la question. Depuis 3 jours, je suis, comme à peu près tout le monde ici…enrhumé ! Sans déconner, moi qui ne suis pratiquement jamais malade, je me suis enrhumé par plus de 25° !
Bref, je m’habitue peut-être un peu trop bien à la vie ici. Cela dit, je me suis un peu renseigné sur ce que va être la saison chaude, qui se concentre sur les mois d’avril et mai. Et la réponse, c’est un thermomètre qui dépasse volontiers les 40° pour atteindre parfois plus de 45°. Diantre ! J’avais déjà l’intention de diviser mon stage en deux périodes de 4 mois, mais là me voilà plus que motivé. Il faut absolument que je me trouve une place en humanitaire dès avril sous des cieux un peu plus cléments. Peut-être à Accra, au Ghana voisin, qui a l’avantage d’avoir une façade maritime et donc un climat plus tempéré.
Les regards
Plus que la chaleur, ce à quoi il peut sans doute être difficile de s'acclimater, ce sont les regards. En caricaturant un peu, si vous croisez un blanc à Dhassasgo, il n'y a que trois possibilités. Soit il s'agit d'un touriste égaré, soit il s'agit de Bob, soit il s'agit de moi. Dans le dernier cas, évitez de venir me parler, je n'ai pas la moindre envie de me tenir dans les environs d'un type qui transpire autant que moi. Signalons néanmoins que Bob a été très récemment rejoint par son anthropologue de femme, tout aussi québecoise et adorable que lui et que j'apprécie énormement leur compagnie, dans les pièces climatisées ou dès la tombée de la nuit. A en croire Abdeslam, quelques français viennent parfois manger au Cristal Rouge, la nourriture y étant réputée pour sa compatibilité avec la faune gastrique de l'occidental lambda, mais je n'en ai encore jamais vu. Tout cela pour dire que dans les rues de Dhassasgo, j'attire les regards. Et contrairement à la France, ici les contacts visuels ne sont pas proscrits. Et sont même parfois un peu déstabilisants, quand la mère de famille à l'arrière de la moto à côté de vous au feu rouge passe les 40 secondes d'attentes à vous fixer droit dans les yeux sans ciller.
Bref, j'ai trouvé le pays parfait pour moi. Ici je n'ai pas besoin de m'enfiler une bouteille de whisky très-bas-de-gamme, de me dénuder en public, de vociférer des grossièretés incongrues aux passants ni de me balader avec ma pancarte "je manque d'assurance, faites attention à moi" pour être au centre de l'intérêt. J'économise ainsi en bourbon, en frais de justice, en rossées reçues (ce qui me manque un peu, j'adore l'allitération), et d'une manière générale en dignité. Cela dit, on s'habitue. Quand je dis on, j'entend que je m'habitue à la sensation d'être observé quasi-constamment, et plus seulement lors de bouffées paranoïaco-agoraphobes, mais aussi que les gens, mes nouveaux voisins, se sont rapidement habitué à ma présence. En effet, les sourires amusés ont vite remplacé les regards étonnés. Pour me rappeler à ma singularité épidermique, il n'y a guère plus que les bandes de gamins qui m'invectivent encore à grands coups de "Hey nassara ça va ?" et viennent me voir en se marrant. Mais vous savez comment sont les gosses. Il suffit d'attraper le plus proche, de lui envoyer une grande paire de claques à travers la tronche, doublée éventuellement d'une bonne balayette si le coeur vous en dit. Evidemment cela fait un sacré boucan quand il commence à geindre, mais ça a le mérite de calmer radicalement les autres. "En punir un, en éduquer cent". Ce n'est pas du Mao, c'est la nouvelle maxime du ministre de la fonction publique italien, alors franchement, pourquoi se priver ?
Finalement, j'ai trouvé des blancs à Ouaga. J'en ai trouvé tout un foutu nid d'ailleurs. Au cours d'une balade en moto, mon guide improvisé, l'inestimable M.Sawadro m'a annoncé que l'on traversait le quartier européen. Une longue rue comprenant des ambassades, quelques centres de coopération internationale et plusieurs grands hôtels. Et dans cette rue, un beau troupeau d'une trentaine de caucasiens bon teint attablés...au Burger Planet Truc's Chose, l'unique fast-food de la ville. A quelques mètres de l'entrée des larges halls aseptisés, au milieu des patrouilles de militaires. Car c'est bien connu, on ne sait jamais ce qui peut se passer dans la tête d'un noir.
Le Cristal Rouge
J'aurais sans doute mieux fait de commencer par là, mais que voulez-vous, l'arbitraire a ses raisons que la cognition ignore. Le Cristal Rouge, c'est un restaurant. Seydou m'y a conduit le soir de mon arrivée. Quand on m'a demandé si je désirais une table ou que l'on emballe ma commande en vue d'une consommation ultérieure, traversé par un éclair d'extralucidité, j'ai opté pour la seconde proposition.
Alors que je faisais les 100 pas devant la terrasse, grillant une cigarette en attendant que mon plat soit prêt, le serveur m'a invité à m'asseoir à sa table pour partager un thé. C'est ainsi qu'en refusant une table de client, j'atterris à celle réservée aux employées. C'est ainsi que j'ai rencontré Abdeslam, mon premier ami au Burkina Faso. Je dis bien au Burkina Faso, et pas burkinabé. En effet, à l'instar de la cuisine du Cristal Rouge, Abdeslam est guinéen. Plus exactement, il vient de Guinée-Bissau, un tout petit pays lusophone, dont vous entendrez certainement bientôt parler. En effet, sous l'impulsion direct des cartels colombiens, la Guinée-Bissau est en passe de devenir le premier narco-Etat d'Afrique Noire.
Abdeslam a 25 ans. Sa grande soeur, Amina, mariée à un fonctionnaire international suisse, est la propriétaire du restaurant. Abdeslam n'est jamais allé à l'école. Il parle 8 langues. Il est allé "à l'aventure". Ici, cela signifie qu'il a tenté le voyage vers l'Europe. Il a été arrêté à Tanger, caché à bord d'un cargo en partance pour l'Espagne. Il a vécu entre autre en Côte d'Ivoire, au Mali, en Guinée-Conakry et au Sénégal. Il a une femme et un garçon de deux ans qui vivent toujours en Guinée-Bissau.
J'adore Abdeslam. C'est un vrai bordel à lui tout seul. Il me ressemble un peu. Beurré, il braille sur tout le monde, insulte les serveurs, raconte n'importe quoi aux infortunés ayant l'imprudence de lui prêter oreille et drague outrageusement tout ce qui lui semble un tant soit peu féminin. Ce qui m'évite de le faire. Il parle plutôt bien français mais avec l'accent portugais. Il s'énerve vite et appelle tout le monde yamaco, littéralement piment, mais que je traduirais par quelque chose allant de vilaine petite chipie à immonde petite garce suivant la situtation, l'intonation et l'expression de son visage. Il aime le reggae, Bob Marley bien sûr, mais surtout Tiken Jah Fakoly et Lucky Dube, rastamans respectivement ivoirien et sud-africain. Concrètement cet amour se traduit par les baffles du resto crachant à plein volume des goods vibes à l'intention de la rue entière, de 10h du matin à 23h. Il est également fan de 2pac mais ne possède qu'un seul de ses titre, en l'occurence "Fuck B.I.G.", qu'il écoute en moyenne 15 fois par jour et de préférence d'affilée.
Mais il n'y a pas qu'Abdeslam au Cristal Rouge. Il y aussi Yama, la cuisinière. Elle, est une vraie burkinabé (et non, les habitante du Burkina se s'appellent pas les burkinabèses, heureusement pour elles l'adjectif est invariable). La patience incarnée, qui supporte vaillamment et même avec le sourire les élucubrations d'Abdeslam. Et puis il y a surtout la petite Mounia. On l'appelle petite Mounia pour la distinguer de la grande Mounia, fille d'Amina et donc nièce d'Abdeslam. Petite Mounia a 8 ans. Elle a la chance d'aller à l'école. Au début, ma présence l'intimidait et elle restait silencieuse. Et puis un beau jour, elle a pris la décision de m'adopter. Elle m'appelle tonton Bill et plus M.Anglet. Petite flamme noire en perpétuel mouvement, elle danse, chante, crie, court dans tout les sens, parle à toute allure, se bat avec Abdeslam, rit aux éclats dans les bras de sa mère, bref enchante et épuise tout le monde.
Abdeslam, Yama, Mounia. Cette quasi-famille gravitant autour du Cristal Rouge a été la première à m'adopter et a constitué ma première cellule de socialisation burkinabé.
L’Institut
Comme je l’ai déjà souligné, les bâtiments de l’Institut Imagine détonnent dans le paysage du quartier de Dhassasgo. Une bâtisse principale compacte de deux étages, flanquée de deux bâtiments plus récents de trois étages. Il faut marcher près de 10 minutes pour trouver un bâtiment de hauteur disons comparable. La bâtisse principale abrite une quarantaine de chambres destinées aux étudiants. Elles sont pour l’instant vides. En effet, l’Institut ne dispense aucune formation à l’année et fonctionne selon un système d’atelier. En l’occurrence, pas d’atelier, pas d’étudiant et des locaux quasi-déserts. Signalons tout de même une demi-douzaine de réalisateurs en herbes travaillant sur un projet de court-métrage d’animation qu’ils souhaitent présenter au festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, le Fespaco, qui aura lieu à partir de la mi-février. Voilà d’ailleurs l’occasion de signaler ici qu’à mon grand regret l’Institut Imagine ne forme pas à la guérilla urbaine bolchévico-anarcho-écologiste spécialisée dans le détournement de pédalos et l’empoisonnement à la sauce béchamel, mais bel et bien aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel (www.imagine.bf pour plus de renseignements sur ce projet réellement original et ambitieux). A noter parmi cette bande de futurs talents la présence de Bob, québécois de 27 ans, remarquable car il était le seul représentant de l’ethnie caucasienne résidant à Imagine jusqu’à mon arrivée. Le reste de l’équipe d’Imagine est constituée de burkinabés : Christine la secrétaire, Seydou et Jean-Pierre qui s’occupent de l’entretien, Gaspard et Alain respectivement gardien de jour et de nuit, Mouloungui le directeur adjoint, et enfin Gérard, dont je n’ai absolument aucune idée de la fonction hormis celle d’être extrêmement sympathique. A cette petite troupe s’ajoute Juliette, notre adorable femme de ménage.
Voilà pour l’équipe. Enfin manque ici François Sambaoré, célèbre réalisateur burkinabé, fondateur et directeur de l’Institut et accessoirement mon maître de stage. S’il manque, c’est que je n’ai eu l’occasion de le voir que quelques heures depuis mon arrivée, l’essentiel de son métier consistant à parcourir le monde pour présenter son école et récolter des fonds. Je suis arrivé le 2, lui est arrivé le 4 pour repartir le 5, et ne sera de retour que le 25. Et comme mon boulot est de lui servir d’assistant, forcément je n’ai rien à faire. Ou presque. Je passe quelques petites heures par jours à lui enregistrer des bouquins sur magnétophone. En effet, l’infortuné cinéaste perd la vue et la lecture lui coûte beaucoup d’effort. Ces enregistrements lui évitent cette souffrance. Je suis donc désœuvré l’essentiel de mes journées. L’inconvénient, c’est qu’il m’est difficile de m’intégrer dans ces conditions à la vie de l’Institut. La machine fonctionne parfaitement sans moi et j’ai, malgré la gentillesse des uns et des autres, la désagréable sensation d’être un vilain grain de sable dans un rouage bien huilé. L’avantage, c’est que j’ai tout le temps de découvrir la ville.
Le Tabaski
Le Tabaski, c’est l’Aïd-el-kébir, donc une fête musulmane. Les chiffres de la répartition confessionnelle de la population burkinabè varient beaucoup selon les sources. 47% d’animistes, 31% de musulmans, les 22% restants se répartissant entre catholiques et protestants d’après le recensement national de 96. Les chiffres d’une enquête de la CIA datant de début 2008 sont sensiblement différents : 50% de musulmans, 41% d’animistes et moins de 10% d’honnêtes chrétiens. Pour ma part, à la lumière des conversations que j’ai pu avoir, je trouve incroyablement stupide de se lancer dans cet inventaire, tout au moins en posant des délimitations aussi strictes, dans la mesures où musulmans comme chrétiens sont empreints de culture et de croyances animistes, sans même parler de ces foutues bandes de Ras Tafaris qui arpentent les rues et pour qui Jah, Jésus, Allah, Yahvé, Bouddha, Bill Gates, Eric Clapton, Allen Ginsberg, Zinedine Zidane, ta mère et le magret de canard sauce framboise ne forment qu’un.
Quoi qu’il en soit, l’animisme est surtout répandu dans les campagnes. En ville, la majorité de la population est musulmane. Et le soir du Tabaski, tout le monde fait la fête. Mon pote Abdeslam en profite pour me faire visiter Ouaga by night. Départ en moto du Cristal rouge aux alentours de 18h. On commence par se rendre à la waka (maison) d’une famille d’amis à lui, dans un des plus anciens quartiers de la ville, l'un des plus pauvres aussi. Là-bas, une des filles se marre en m’expliquant que c’est la première fois qu’un blanc se pointe chez eux. Abdeslam discute avec le vieux père de famille en français, mais avec leur putain d’accent je dois m’accrocher de toutes mes forces pour comprendre la conversation. Quand on me demande quelque chose, je dois souvent les faire répéter plusieurs fois avant de pouvoir leur répondre. Le décor n’a pas grand-chose à voir avec l’Institut. Une petite cour en terre battue, quelques chaises sur une minuscule terrasse, un bâtiment bétonné de trois pièces de dimensions moyennes, aux murs et sols nus, une annexe de deux petites pièces pour la famille de l’aîné des fils. Une cinquantaine de mètres carrés en comptant la cour dans lesquels cohabitent une bonne quinzaine de personnes. La classe moyenne de Ouaga.
Après une bonne heure de palabres, on s’éclipse et Abdeslam m’amène dans mon premier maquis, le "King Kundé". Un peu de sémantique s'impose ici. Le maquis burkinabé n'est que l'homonyme, et en rien le synonyme, du maquis français. Il ne s'agit donc pas d'un trou perdu du Vercors où l'on a toute les chances de se faire dégommer par un marxisto-gaulliste fascistophobe pour peu que l'on ait la mauvaise idée de s'y promener entre 1941 et 1944 en arborant une moustache frisée et un imper kaki tout en lisant Goethe à haute voix en version originale. Non, ici, au Burkina Faso, il s'agit d'une sorte de mélange entre un bar, un restaurant et une boîte de nuit. Bien souvent, ils se situent dans une grande cour où quelques tables entourent une sorte de kiosque faisant office de piste de danse. Evidemment, le "King Kundé" est une exception. Une terrasse et une salle ressemblant en tous points à une boîte occidentale. On ne s'y attarde pas vraiment, Abdeslam doit repasser chez lui à Dhassasgo. Il règle rapidement je ne sais quelle affaire avec Yama, avant de me conduire au restaurant où nous dînons. Restes du repas du Tabaski, c'est-à-dire méchoui de mouton en salade. Ensuite, nous voilà reparti en moto vers le centre-ville. Cette fois-ci, mon pilote en profite pour me montrer le plan d'eau d'où provient l'eau du robinet. Je comprends mieux la sévérité féroce qui avait soudainement remplacé la bonhomie habituelle sur le visage de ma chère toubib, quand elle m'a dit d'un air solennel et autoritaire que je ne lui connaissais pas : "Ne bois pas l'eau du robinet là-bas. Je ne plaisante pas. Ne bois PAS l'eau du robinet." Sur les bords de cette mare géante, un hôtel Accor luxueux. Enfin luxueux... J'exagère. La piscine n'est même pas terminée, c'est dire. Mais quand elle le sera, je suis certain que son eau, même après des heures de barbotages de bambins incontinents et miasmeux, sera plus saine que celle qui coule dans les tuyauteries de la ville.
Arrivé au Matata, nous nous occupons de nos tuyauteries personnelles, ou plus exactement, nous les nettoyons à grand renfort de malt fermenté. Autour de nous, c'est un joyeux foutoir. Les gens circulent en tous sens, s'interpellent en beuglant, boivent à grandes gorgées, rient aux éclats. Et surtout, ils dansent. Partout. La piste est pleine. Ils dansent au comptoir en attendant l'arrivée de leur consommation. Ils dansent en faisant la queue pour aller aux chiottes. Ils dansent seuls, en couple ou entre potes. Ils dansent de façon très structurée. Les pas sont codifiés, et exigent une certaine concentration. Rien à voir avec les débauches anarchiques de bras et de jambes d'une soirée européenne. Je peux régulièrement voir un type ou une nana attablé se lever de leur chaise pour danser une dizaine de secondes avant de se rassoir. Et tant pis. Je vais faire dans le lieu commun. Car force m'est d'avouer que le spectacle d'une petite black faisant vibrer ses fesses en rythme a quelque chose de réellement hypnotique.
La circulation
Le quartier de l'Institut est situé à un peu moins de dix kilomètres du centre-ville. Un peu loin pour s'y rendre à pied. Les taxis pullulent, et pour 200 francs CFA la course, c'est-à-dire 40 centimes d'euro, il faudrait être pingre pour ne pas en profiter. Seulement voilà, non seulement je suis pingre, mais en plus pour une raison qui m'échappe, j'ai toujours détesté prendre le taxi, trouvant un je-ne-sais-quoi de déplacé à me faire conduire (par un vrai taxi, en revanche, j'adore me faire trimballer par mes potes, à leur grande exaspération). Sachant que je n'ai pas la moindre notion de la manière dont se conduit une moto et les aptitudes psychomotrices d'une palourde sclérosée, il ne me reste plus qu'une seule solution : le vélo.
Ce qui veut dire composer avec la circulation ouagalaise. Et franchement, vue de l'extérieur, c'est carrément flippant. Ouaga, c'est la ville de la moto. Enfin. Pour être honnête, c'est plutôt la ville de la mobylette. Plus de 700000 au dernier recensement, et environ 50000 nouvelles mises sur le marché chaque année, pour une ville comptant un peu plus d'un million d'habitants. Pour ce que j'ai pu constater, un ratio d'environ une douzaine de motos pour une voiture. Concrètement, cela signifie qu'à chaque fois qu'un feu passe au vert, on assiste à l'envol rageur d'un essaim de deux-roues furibondes.
J'ai d'abord pensé que ce ballet psychédélique n'obéissait à aucune règle. Puis, en y circulant, je me suis rapidement rendu compte que le bordel était causé par l'extrême densité du trafic, et pas par la conduite des ouagalais, qui est en fait très correcte. D'ailleurs, au bout de quelques temps, j'ai réalisé que j'étais le seul crétin à brûler allègrement les feux rouges, à doubler joyeusement par la droite, à conduire d'une seule main ou tout en grillant une clope. Toutefois, ici je ne roule pas sur les trottoirs, et ce essentiellement parce qu'il n'y en a pas. En tout cas, je suis petit à petit en train de perdre mes mauvaises habitudes d'écolier de petite ville et d'en adopter de nouvelles, plus adaptées à une métropole du Tiers-Monde.
Ce qui ne suffit malheureusement pas à éviter toutes les embûches. Il y a quelques jours, je revenais d'une course en bordure du centre-ville et j'étais en train de me faire doubler par une moto. Le conducteur avait embarqué une dizaine de poulets attachés par les pattes sur ces genoux. L'un de ces charmants volatiles a eu la curieuse idée de se détacher dans le seul et unique but de se précipiter sur ma roue avant. Déjouant avec habileté le plan de ce machiavélique gallinacé, je parviens non sans mal à éviter de me casser lamentablement la gueule sur le bitume (car le perfide poulet avait bien sûr choisi l'une des rares routes goudronnées de Ouaga pour faire son coup). Les gens se marrent devant mes acrobaties, et plus encore quand ils m'entendent brailler furieux "ibé nwaga de merde !", c'est-à-dire "fout-le-camp poulet de merde" à cette saleté de bestiole qui prend maintenant lâchement la fuite. Bref, les ouagalais conduisent plutôt bien, le vrai problème provient de la haine viscérale que semble ressentir les piafs locaux à mon égard.
La chaleur :
En ce moment, le Burkina est en pleine saison froide. Ce qui signifie que la température ne dépasse que rarement les 30°. Dans les premiers jours ayant succédés à mon arrivée, ce seuil était largement dépassé. Un ciel dégagé et le soleil a tout le loisir de frapper durement ceux qui se mettent dans son passage. Il y a régulièrement du vent dans la journée, qui tombe en général dans la soirée. Cependant, il s’agit d’un vent très sec, appelé l’Harmattan. Venant du désert, il ne rafraichît pas vraiment l’atmosphère mais contribue par contre à faire voler la fameuse poussière rouge de Ouaga. C’est très joli à regarder, par contre c’est très irritant pour le système respiratoire et très salissant. Ici tous les marchands ont des chiffons et généralement quand vous achetez quelque chose, ils commencent par y donner quelques coups vigoureux histoire de le dépoussiérer un peu.
La transition climatique a été assez difficile. L’essentiel des trois premières nuits ont été passé à accomplir un plan un quatre étapes :
1. Avoir trop chaud pour s’endormir.
2. Mettre en marche le ventilo.
3. Constater que le ventilo fait trop de boucan pour pouvoir dormir.
4. Arrêter le ventilo puis revenir à l’étape 1.
Toutefois, je me suis somme toute rapidement habitué, et je dors maintenant plutôt bien. Moi qui suis d’ordinaire insomniaque chronique, je m’endors même avec une facilité que je n’avais plus eue depuis des années.
La température a également été pour moi source d’un étonnement proche de l’ahurissement, quand je me suis rendu compte que la plupart des gens trouvent qu’il fait froid. Non pas qu’il fait moins chaud que le reste de l’année, non, qu’il fait froid. Par 30°, alors que je transpire en T-shirt et pantacourt, mes potes portent deux, voire trois couches de vêtements ! Mais le plus drôle est à venir. Depuis maintenant une petite semaine, les nuages encombrent le ciel toute la journée. De fait, il fait un peu moins chaud, ce qui est agréable mais préjudiciable au développement de mon bronzage, alors même que je venais de découvrir un moyen d’accéder sans risque au toit de l’Institut. Mais ce n’est pas la question. Depuis 3 jours, je suis, comme à peu près tout le monde ici…enrhumé ! Sans déconner, moi qui ne suis pratiquement jamais malade, je me suis enrhumé par plus de 25° !
Bref, je m’habitue peut-être un peu trop bien à la vie ici. Cela dit, je me suis un peu renseigné sur ce que va être la saison chaude, qui se concentre sur les mois d’avril et mai. Et la réponse, c’est un thermomètre qui dépasse volontiers les 40° pour atteindre parfois plus de 45°. Diantre ! J’avais déjà l’intention de diviser mon stage en deux périodes de 4 mois, mais là me voilà plus que motivé. Il faut absolument que je me trouve une place en humanitaire dès avril sous des cieux un peu plus cléments. Peut-être à Accra, au Ghana voisin, qui a l’avantage d’avoir une façade maritime et donc un climat plus tempéré.
Les regards
Plus que la chaleur, ce à quoi il peut sans doute être difficile de s'acclimater, ce sont les regards. En caricaturant un peu, si vous croisez un blanc à Dhassasgo, il n'y a que trois possibilités. Soit il s'agit d'un touriste égaré, soit il s'agit de Bob, soit il s'agit de moi. Dans le dernier cas, évitez de venir me parler, je n'ai pas la moindre envie de me tenir dans les environs d'un type qui transpire autant que moi. Signalons néanmoins que Bob a été très récemment rejoint par son anthropologue de femme, tout aussi québecoise et adorable que lui et que j'apprécie énormement leur compagnie, dans les pièces climatisées ou dès la tombée de la nuit. A en croire Abdeslam, quelques français viennent parfois manger au Cristal Rouge, la nourriture y étant réputée pour sa compatibilité avec la faune gastrique de l'occidental lambda, mais je n'en ai encore jamais vu. Tout cela pour dire que dans les rues de Dhassasgo, j'attire les regards. Et contrairement à la France, ici les contacts visuels ne sont pas proscrits. Et sont même parfois un peu déstabilisants, quand la mère de famille à l'arrière de la moto à côté de vous au feu rouge passe les 40 secondes d'attentes à vous fixer droit dans les yeux sans ciller.
Bref, j'ai trouvé le pays parfait pour moi. Ici je n'ai pas besoin de m'enfiler une bouteille de whisky très-bas-de-gamme, de me dénuder en public, de vociférer des grossièretés incongrues aux passants ni de me balader avec ma pancarte "je manque d'assurance, faites attention à moi" pour être au centre de l'intérêt. J'économise ainsi en bourbon, en frais de justice, en rossées reçues (ce qui me manque un peu, j'adore l'allitération), et d'une manière générale en dignité. Cela dit, on s'habitue. Quand je dis on, j'entend que je m'habitue à la sensation d'être observé quasi-constamment, et plus seulement lors de bouffées paranoïaco-agoraphobes, mais aussi que les gens, mes nouveaux voisins, se sont rapidement habitué à ma présence. En effet, les sourires amusés ont vite remplacé les regards étonnés. Pour me rappeler à ma singularité épidermique, il n'y a guère plus que les bandes de gamins qui m'invectivent encore à grands coups de "Hey nassara ça va ?" et viennent me voir en se marrant. Mais vous savez comment sont les gosses. Il suffit d'attraper le plus proche, de lui envoyer une grande paire de claques à travers la tronche, doublée éventuellement d'une bonne balayette si le coeur vous en dit. Evidemment cela fait un sacré boucan quand il commence à geindre, mais ça a le mérite de calmer radicalement les autres. "En punir un, en éduquer cent". Ce n'est pas du Mao, c'est la nouvelle maxime du ministre de la fonction publique italien, alors franchement, pourquoi se priver ?
Finalement, j'ai trouvé des blancs à Ouaga. J'en ai trouvé tout un foutu nid d'ailleurs. Au cours d'une balade en moto, mon guide improvisé, l'inestimable M.Sawadro m'a annoncé que l'on traversait le quartier européen. Une longue rue comprenant des ambassades, quelques centres de coopération internationale et plusieurs grands hôtels. Et dans cette rue, un beau troupeau d'une trentaine de caucasiens bon teint attablés...au Burger Planet Truc's Chose, l'unique fast-food de la ville. A quelques mètres de l'entrée des larges halls aseptisés, au milieu des patrouilles de militaires. Car c'est bien connu, on ne sait jamais ce qui peut se passer dans la tête d'un noir.
Le Cristal Rouge
J'aurais sans doute mieux fait de commencer par là, mais que voulez-vous, l'arbitraire a ses raisons que la cognition ignore. Le Cristal Rouge, c'est un restaurant. Seydou m'y a conduit le soir de mon arrivée. Quand on m'a demandé si je désirais une table ou que l'on emballe ma commande en vue d'une consommation ultérieure, traversé par un éclair d'extralucidité, j'ai opté pour la seconde proposition.
Alors que je faisais les 100 pas devant la terrasse, grillant une cigarette en attendant que mon plat soit prêt, le serveur m'a invité à m'asseoir à sa table pour partager un thé. C'est ainsi qu'en refusant une table de client, j'atterris à celle réservée aux employées. C'est ainsi que j'ai rencontré Abdeslam, mon premier ami au Burkina Faso. Je dis bien au Burkina Faso, et pas burkinabé. En effet, à l'instar de la cuisine du Cristal Rouge, Abdeslam est guinéen. Plus exactement, il vient de Guinée-Bissau, un tout petit pays lusophone, dont vous entendrez certainement bientôt parler. En effet, sous l'impulsion direct des cartels colombiens, la Guinée-Bissau est en passe de devenir le premier narco-Etat d'Afrique Noire.
Abdeslam a 25 ans. Sa grande soeur, Amina, mariée à un fonctionnaire international suisse, est la propriétaire du restaurant. Abdeslam n'est jamais allé à l'école. Il parle 8 langues. Il est allé "à l'aventure". Ici, cela signifie qu'il a tenté le voyage vers l'Europe. Il a été arrêté à Tanger, caché à bord d'un cargo en partance pour l'Espagne. Il a vécu entre autre en Côte d'Ivoire, au Mali, en Guinée-Conakry et au Sénégal. Il a une femme et un garçon de deux ans qui vivent toujours en Guinée-Bissau.
J'adore Abdeslam. C'est un vrai bordel à lui tout seul. Il me ressemble un peu. Beurré, il braille sur tout le monde, insulte les serveurs, raconte n'importe quoi aux infortunés ayant l'imprudence de lui prêter oreille et drague outrageusement tout ce qui lui semble un tant soit peu féminin. Ce qui m'évite de le faire. Il parle plutôt bien français mais avec l'accent portugais. Il s'énerve vite et appelle tout le monde yamaco, littéralement piment, mais que je traduirais par quelque chose allant de vilaine petite chipie à immonde petite garce suivant la situtation, l'intonation et l'expression de son visage. Il aime le reggae, Bob Marley bien sûr, mais surtout Tiken Jah Fakoly et Lucky Dube, rastamans respectivement ivoirien et sud-africain. Concrètement cet amour se traduit par les baffles du resto crachant à plein volume des goods vibes à l'intention de la rue entière, de 10h du matin à 23h. Il est également fan de 2pac mais ne possède qu'un seul de ses titre, en l'occurence "Fuck B.I.G.", qu'il écoute en moyenne 15 fois par jour et de préférence d'affilée.
Mais il n'y a pas qu'Abdeslam au Cristal Rouge. Il y aussi Yama, la cuisinière. Elle, est une vraie burkinabé (et non, les habitante du Burkina se s'appellent pas les burkinabèses, heureusement pour elles l'adjectif est invariable). La patience incarnée, qui supporte vaillamment et même avec le sourire les élucubrations d'Abdeslam. Et puis il y a surtout la petite Mounia. On l'appelle petite Mounia pour la distinguer de la grande Mounia, fille d'Amina et donc nièce d'Abdeslam. Petite Mounia a 8 ans. Elle a la chance d'aller à l'école. Au début, ma présence l'intimidait et elle restait silencieuse. Et puis un beau jour, elle a pris la décision de m'adopter. Elle m'appelle tonton Bill et plus M.Anglet. Petite flamme noire en perpétuel mouvement, elle danse, chante, crie, court dans tout les sens, parle à toute allure, se bat avec Abdeslam, rit aux éclats dans les bras de sa mère, bref enchante et épuise tout le monde.
Abdeslam, Yama, Mounia. Cette quasi-famille gravitant autour du Cristal Rouge a été la première à m'adopter et a constitué ma première cellule de socialisation burkinabé.
mercredi 17 décembre 2008
Conclusion d'un trajet Arles-Avignon-Paris-Dakar-Bamako-Ouagadougou
Mardi 3 décembre. Il est midi et demi, et en en ayant terminé, cette fois je l’espère pour un bon moment, avec les formalités administratives, j’émerge du minuscule aéroport de Ouagadougou.
Je suis descendu de l’avion avec le soleil dans le dos, et j’ai bien pris garde de ne pas me retourner depuis. Mais là, plus question de se défiler. Les sournois méandres sanitario-douaniers m’ont imposé par petites touches discrètes un revirement à 180°. Me fixant d’un air incroyablement suffisant du haut de son zénith, un énorme soleil africain contemple amusé mon arrivée. La luminosité me fait littéralement vaciller, et il me faut une demi-douzaine de secondes pour arriver à discerner les silhouettes qui me font face. L’une d’elles tient à la main un panneau sur lequel est écrit « Institut Imagine – Harry Vailardier ». Elle affirme répondre au doux nom de Coulibaly et me conduit à un vieux 4x4 pour une traversée de la ville, direction mon futur lieu de travail, qui me tiendra également lieu de créchoir en attendant de me trouver un logement.
Chemin faisant, Coulibaly m’interroge sur mon voyage.
Je n’ai pas vu passé les dernières 24h. A 13h la veille, je suis sorti de l’appartement de l’ami Jérémy et de ses charmants colocataires, abandonnant non sans regret derrière moi une boîte de bonbons en gage de ma gratitude envers mes hôtes. Saleté d’hôtes, saleté de gentillesse et foutues convenances. En plus il restait des crocodiles (il ne s’agissait quand même pas d’une boîte pleine, j’avais bien évidemment mangé tout ce que j’avais pu la veille). Bref, c’est de fort mauvaise humeur que j’arrive crevé à l’aéroport de Roissy, terminal B, après une bonne heure de trajet en commun, dont 20 minutes de métro dans le wagon d’une classe de primaire, et sans que le RER ait eu l’élémentaire courtoisie d’attendre que j’ai grillé ma cigarette pour arriver. Direction l’enregistrement. Le type devant moi a un excédent de bagage. On s’arrange avec l’hôtesse pour faire enregistrer l’un de ses sacs à mon nom. L'affable propriétaire des kilos de trop, un sénégalais d’une trentaine d’années, m’en est reconnaissant. Il m’apprend rapidement qu’il est chef d’entreprise en France, et qu’il envoie quelques affaires, escortées par un de ses employés, à sa famille à Dakar. En remerciement, il passe quelques coups de fil et m’annonce deux bonnes nouvelles. D’abord, je ne dormirai pas dans l’aéroport L.S.Senghor avec mon sac comme oreiller. Il s’est arrangé pour m’obtenir une chambre d’hôtel. Ensuite, sa petite sœur passera me récupérer à mon arrivée pour me faire faire un tour de Dakar. Je suis bien évidemment ravi.
En passant à la douane, j’ai une légère appréhension. Je n’ai pourtant rien embarqué de compromettant mais je viens de réaliser que le fute que je porte a sacrement vécu, et qu’il serait loin d’être impossible que dans l’une de ses nombreuses poches se trouve un quelconque passager clandestin oublié par moi depuis longtemps. Aucune importance, pas de chien et je passe sans être ne serait-ce que palpé. Le seul incident notable est le rire que suscite chez deux jeunes douanières la masse conséquente de choses (clés, tabac, filtres, feuilles à rouler, briquets, passeport, certificat de vaccination, papiers divers et variés, stylos, carte d’embarquement, portable, boîte de médocs…) que j’extraie de mes poches. J’essaye d’arguer que n’étant pas une fille, je ne peux décemment pas me munir d’un sac à main pour y ranger mon foutoir, ce qui ne les convainc guère. En me dirigeant vers la porte d’embarquement, je croise quelques troufions, mitraillettes en mains, qui me rappellent qu’un bagage à mon nom dont j’ignore tout du contenu est probablement en train de passer à son tour à la douane.
Un peu plus de 6h plus tard, me voilà à Dakar. Première sensation de l’Afrique : l’odeur de la mer. Et oui. J’avais complètement oublié que Dakar est une ville côtière. De fait, ma première impression de l’Afrique est que ça sent très exactement comme les Saintes-Maries-de-la-Mer. Le dépaysement arrivera plus tard, lors de ma visite du centre de Dakar. Il fait nuit -il est 23h passée- et je n’ai donc pu avoir une bonne vision de la ville mais j’en ai tout de même vu assez pour avoir l’envie d’y revenir. Il y a un nombre absolument ahurissant de moutons dans les rues, destinés au Tabaski, c'est-à-dire à l’Aïd-El-Kebir qui approche. En passant devant ce qu’elle m’indique comme étant une cité universitaire, je demande à ma guide, sœur de l’entrepreneur rencontré à Orly pour ceux qui auraient oublié, si elle est mixte. Ce à quoi elle me répond que « non, bien évidemment, comme en France ». Dans la mesure où elle m’a fait part de son envie d’envoyer sa fille faire ses études en France, j’évite soigneusement de lui dire qu’il y a eu, depuis 68, quelques changements à ce sujet. Après moult remerciements, me voilà à l’hôtel de l’aéroport (j’ai compris pendant la soirée que mon bienfaiteur d’Orly n’est autre que le petit frère de l’un des responsables dudit aéroport). Attention somme toute inutile, je ne dors toujours pas.
Le lendemain, je prends un nouvel avion, qui je l’apprends à l’embarquement, dessert Bamako (Mali) avant Ouagadougou. Surréaliste. Je me souviens de « La cité de la peur » et du fameux « aéroport de Nice, aéroport de Nice. 10 minutes d’arrêt. ». Je me marre. Ce qui est moins marrant, c’est que cela signifie un décollage et un atterrissage de plus, et les dépressurisations qui vont avec, toujours dangereuses quand on promène un pneumothorax tout juste guéri.
Contemplant le paysage splendide qui apparaît à mon hublot, je griffonne quelques lignes dont voici la transcription.
« A chaque fois c’est pareil. Cela en devient agaçant. Il suffit que je prenne l’avion pour être assailli par des spasmes mystico-spirituels. Cela dit, je ne suis pas le seul. Prenez un mécréant lambda. Arrosez-le de la perspective d’une promenade à 30000 pieds et vous verrez très rapidement fleurir sur ses lèvres des bouquets tressés avec les noms de tous les dieux de la Création, des parterres d’imprécations atterrées et des bosquets de prières silencieuses. Pour ma part, j’ai mon rituel personnel. Comme à chaque fois que je pense mon pronostic vital engagé, je passe un accord unilatéral avec Big Blank, dont voici les termes. Il ne m’arrive rien, et en échange je t’en dois une. Autant dire qu’entre les retours motorisées de soirées inondées, les débauches de mise à contribution festive de la chimie moderne, les transactions effectuées avec des individus douteux dans des lieux improbables, les récurrentes et irrésistibles envies d’escalade inhérentes à la condition de pochtron insomniaque et mon étrange propension à ne chercher la bagarre qu’aux plus forts ou plus nombreux que moi, je suis insolvable depuis fort longtemps. Au grand paradis des imbéciles extatiques illuminés, je serai de corvée de chiottes pour au moins l’éternité. Mais qu’importe puisque ça marche.
Me voilà en plein ciel. On ne conçoit la hauteur qu’en altitude. Et je dois reconnaître que libéré sous conditionnelle (celle de ne jamais redescendre) des lois de l’apesanteur, chevauchant lascivement les cieux, j’ai bien plus de facilité à concevoir la possibilité de l’existence de notre Père qui y est. Surtout, voilà que je commence à lui trouver des excuses. Foutre, que la Terre est belle vue de Dieu. Plus de gargouillement de ventre, plus de craquement d’articulation, plus d’odeur de pieds, plus de dégoulinement de sudation. On ne discerne pas les gorges qui râlent, les membres que l’on brise, les doigts qui se crispent, les entrailles qu’on pourfend, les yeux qui supplient, les tripes qu’on disperse. Rien que les mouvements amples et colorés du monde qui se déploie. Au sol, on croit apercevoir le divin dans le ciel, et à peine envolé, on constate qu’il en a fait de même, et nous voilà scrutant la terre où il vient de se poser. »
Comme j’ai la gorge sèche, je décide d’épargner ces détails à Coulibaly, me contentant d’un plus sobre « très bien, juste un peu fatigué ». C’est là un mensonge éhonté. En réalité, je suis à la fois exténué et surexcité. Les yeux grands ouverts, les cheveux dans le vent qui s’engouffre par la fenêtre, je savoure. Les nuées de motos qui vrombissent autour de nous. Les couleurs pastels qui ornent la façade des bâtiments. La fierté dans le regard des passants qui me dévisagent. Et la poussière ocre qui macule absolument tout. Nous quittons le centre-ville et les bâtiments cèdent la place aux minuscules échoppes et aux petits baraquements. Imagine est situé dans un quartier populaire en périphérie. Ilot de richesse occidentalisé au milieu d’un océan de pauvreté. La chambre à laquelle on me conduit dispose d’une télé, d’une clim, d’un ventilo, et de sanitaires. Pas vraiment ce à quoi je m’attendais. A l’extérieur, par la fenêtre, je peux voir passer une petite vendeuse de fruits, un plateau d’orange sur la tête, marchant à pas lents et mesurés dans la chaleur étouffante de l’après-midi, sur une route de terre défoncée.
Je suis à Ouaga. Ouaga la rouge.
Je suis descendu de l’avion avec le soleil dans le dos, et j’ai bien pris garde de ne pas me retourner depuis. Mais là, plus question de se défiler. Les sournois méandres sanitario-douaniers m’ont imposé par petites touches discrètes un revirement à 180°. Me fixant d’un air incroyablement suffisant du haut de son zénith, un énorme soleil africain contemple amusé mon arrivée. La luminosité me fait littéralement vaciller, et il me faut une demi-douzaine de secondes pour arriver à discerner les silhouettes qui me font face. L’une d’elles tient à la main un panneau sur lequel est écrit « Institut Imagine – Harry Vailardier ». Elle affirme répondre au doux nom de Coulibaly et me conduit à un vieux 4x4 pour une traversée de la ville, direction mon futur lieu de travail, qui me tiendra également lieu de créchoir en attendant de me trouver un logement.
Chemin faisant, Coulibaly m’interroge sur mon voyage.
Je n’ai pas vu passé les dernières 24h. A 13h la veille, je suis sorti de l’appartement de l’ami Jérémy et de ses charmants colocataires, abandonnant non sans regret derrière moi une boîte de bonbons en gage de ma gratitude envers mes hôtes. Saleté d’hôtes, saleté de gentillesse et foutues convenances. En plus il restait des crocodiles (il ne s’agissait quand même pas d’une boîte pleine, j’avais bien évidemment mangé tout ce que j’avais pu la veille). Bref, c’est de fort mauvaise humeur que j’arrive crevé à l’aéroport de Roissy, terminal B, après une bonne heure de trajet en commun, dont 20 minutes de métro dans le wagon d’une classe de primaire, et sans que le RER ait eu l’élémentaire courtoisie d’attendre que j’ai grillé ma cigarette pour arriver. Direction l’enregistrement. Le type devant moi a un excédent de bagage. On s’arrange avec l’hôtesse pour faire enregistrer l’un de ses sacs à mon nom. L'affable propriétaire des kilos de trop, un sénégalais d’une trentaine d’années, m’en est reconnaissant. Il m’apprend rapidement qu’il est chef d’entreprise en France, et qu’il envoie quelques affaires, escortées par un de ses employés, à sa famille à Dakar. En remerciement, il passe quelques coups de fil et m’annonce deux bonnes nouvelles. D’abord, je ne dormirai pas dans l’aéroport L.S.Senghor avec mon sac comme oreiller. Il s’est arrangé pour m’obtenir une chambre d’hôtel. Ensuite, sa petite sœur passera me récupérer à mon arrivée pour me faire faire un tour de Dakar. Je suis bien évidemment ravi.
En passant à la douane, j’ai une légère appréhension. Je n’ai pourtant rien embarqué de compromettant mais je viens de réaliser que le fute que je porte a sacrement vécu, et qu’il serait loin d’être impossible que dans l’une de ses nombreuses poches se trouve un quelconque passager clandestin oublié par moi depuis longtemps. Aucune importance, pas de chien et je passe sans être ne serait-ce que palpé. Le seul incident notable est le rire que suscite chez deux jeunes douanières la masse conséquente de choses (clés, tabac, filtres, feuilles à rouler, briquets, passeport, certificat de vaccination, papiers divers et variés, stylos, carte d’embarquement, portable, boîte de médocs…) que j’extraie de mes poches. J’essaye d’arguer que n’étant pas une fille, je ne peux décemment pas me munir d’un sac à main pour y ranger mon foutoir, ce qui ne les convainc guère. En me dirigeant vers la porte d’embarquement, je croise quelques troufions, mitraillettes en mains, qui me rappellent qu’un bagage à mon nom dont j’ignore tout du contenu est probablement en train de passer à son tour à la douane.
Un peu plus de 6h plus tard, me voilà à Dakar. Première sensation de l’Afrique : l’odeur de la mer. Et oui. J’avais complètement oublié que Dakar est une ville côtière. De fait, ma première impression de l’Afrique est que ça sent très exactement comme les Saintes-Maries-de-la-Mer. Le dépaysement arrivera plus tard, lors de ma visite du centre de Dakar. Il fait nuit -il est 23h passée- et je n’ai donc pu avoir une bonne vision de la ville mais j’en ai tout de même vu assez pour avoir l’envie d’y revenir. Il y a un nombre absolument ahurissant de moutons dans les rues, destinés au Tabaski, c'est-à-dire à l’Aïd-El-Kebir qui approche. En passant devant ce qu’elle m’indique comme étant une cité universitaire, je demande à ma guide, sœur de l’entrepreneur rencontré à Orly pour ceux qui auraient oublié, si elle est mixte. Ce à quoi elle me répond que « non, bien évidemment, comme en France ». Dans la mesure où elle m’a fait part de son envie d’envoyer sa fille faire ses études en France, j’évite soigneusement de lui dire qu’il y a eu, depuis 68, quelques changements à ce sujet. Après moult remerciements, me voilà à l’hôtel de l’aéroport (j’ai compris pendant la soirée que mon bienfaiteur d’Orly n’est autre que le petit frère de l’un des responsables dudit aéroport). Attention somme toute inutile, je ne dors toujours pas.
Le lendemain, je prends un nouvel avion, qui je l’apprends à l’embarquement, dessert Bamako (Mali) avant Ouagadougou. Surréaliste. Je me souviens de « La cité de la peur » et du fameux « aéroport de Nice, aéroport de Nice. 10 minutes d’arrêt. ». Je me marre. Ce qui est moins marrant, c’est que cela signifie un décollage et un atterrissage de plus, et les dépressurisations qui vont avec, toujours dangereuses quand on promène un pneumothorax tout juste guéri.
Contemplant le paysage splendide qui apparaît à mon hublot, je griffonne quelques lignes dont voici la transcription.
« A chaque fois c’est pareil. Cela en devient agaçant. Il suffit que je prenne l’avion pour être assailli par des spasmes mystico-spirituels. Cela dit, je ne suis pas le seul. Prenez un mécréant lambda. Arrosez-le de la perspective d’une promenade à 30000 pieds et vous verrez très rapidement fleurir sur ses lèvres des bouquets tressés avec les noms de tous les dieux de la Création, des parterres d’imprécations atterrées et des bosquets de prières silencieuses. Pour ma part, j’ai mon rituel personnel. Comme à chaque fois que je pense mon pronostic vital engagé, je passe un accord unilatéral avec Big Blank, dont voici les termes. Il ne m’arrive rien, et en échange je t’en dois une. Autant dire qu’entre les retours motorisées de soirées inondées, les débauches de mise à contribution festive de la chimie moderne, les transactions effectuées avec des individus douteux dans des lieux improbables, les récurrentes et irrésistibles envies d’escalade inhérentes à la condition de pochtron insomniaque et mon étrange propension à ne chercher la bagarre qu’aux plus forts ou plus nombreux que moi, je suis insolvable depuis fort longtemps. Au grand paradis des imbéciles extatiques illuminés, je serai de corvée de chiottes pour au moins l’éternité. Mais qu’importe puisque ça marche.
Me voilà en plein ciel. On ne conçoit la hauteur qu’en altitude. Et je dois reconnaître que libéré sous conditionnelle (celle de ne jamais redescendre) des lois de l’apesanteur, chevauchant lascivement les cieux, j’ai bien plus de facilité à concevoir la possibilité de l’existence de notre Père qui y est. Surtout, voilà que je commence à lui trouver des excuses. Foutre, que la Terre est belle vue de Dieu. Plus de gargouillement de ventre, plus de craquement d’articulation, plus d’odeur de pieds, plus de dégoulinement de sudation. On ne discerne pas les gorges qui râlent, les membres que l’on brise, les doigts qui se crispent, les entrailles qu’on pourfend, les yeux qui supplient, les tripes qu’on disperse. Rien que les mouvements amples et colorés du monde qui se déploie. Au sol, on croit apercevoir le divin dans le ciel, et à peine envolé, on constate qu’il en a fait de même, et nous voilà scrutant la terre où il vient de se poser. »
Comme j’ai la gorge sèche, je décide d’épargner ces détails à Coulibaly, me contentant d’un plus sobre « très bien, juste un peu fatigué ». C’est là un mensonge éhonté. En réalité, je suis à la fois exténué et surexcité. Les yeux grands ouverts, les cheveux dans le vent qui s’engouffre par la fenêtre, je savoure. Les nuées de motos qui vrombissent autour de nous. Les couleurs pastels qui ornent la façade des bâtiments. La fierté dans le regard des passants qui me dévisagent. Et la poussière ocre qui macule absolument tout. Nous quittons le centre-ville et les bâtiments cèdent la place aux minuscules échoppes et aux petits baraquements. Imagine est situé dans un quartier populaire en périphérie. Ilot de richesse occidentalisé au milieu d’un océan de pauvreté. La chambre à laquelle on me conduit dispose d’une télé, d’une clim, d’un ventilo, et de sanitaires. Pas vraiment ce à quoi je m’attendais. A l’extérieur, par la fenêtre, je peux voir passer une petite vendeuse de fruits, un plateau d’orange sur la tête, marchant à pas lents et mesurés dans la chaleur étouffante de l’après-midi, sur une route de terre défoncée.
Je suis à Ouaga. Ouaga la rouge.
samedi 6 décembre 2008
Dernières nuits françaises
Plic plac flic floc. Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas dit un proverbe chinois. Le premier pas de mon voyage est humide. Qu’on s’entende bien, j’ai toujours su que le ciel provençal avait un léger béguin pour moi, mais je ne l’imaginais pas me faire une telle scène pour mon départ. Samedi 29 novembre, 19h aux horloges dignes de confiance, des cieux éventrés un océan de larmes s’abat sur le sol.
Plic plac flic floc. La tête contre la vitre, je ne lutte pas contre la somnolence.
Plus de plic, plus de plac, quelques flics, plus de floc. 23h à la gare de Lyon. Quelques volées d’escaliers, une station et quelques volées d’escaliers plus tard voilà Châtelet. Je me plante de sortie, les néons des grands magasins m’arrosent, la foule me pousse dans la bonne direction et voilà qu’Hakim me cueille. 10 minutes plus tard, je suis débarrassé du fardeau de mon sac. 10 minutes de plus et je suis au Frog. Encore 10 minutes voilà ce cher vieil alsacien de Fabien, qui tout informaticien qu’il soit reste un type formidable. Viennent encore 10 minutes, je baigne dans un doux mélange de chaleur, de bruit et de promiscuité humaine accompagné des suaves vapeurs de l’aube de l’ivresse.
Plic plac flic floc sortie clope. Les parisiens ne s’ennuient jamais. Dernière en date : voir en une habituée de leur rade une héroïne de N.Rey. Pour la soirée, il s’agira donc de la suivre, si possible discrètement. Cela risque d’être difficile. Il est 1h passée. Sourires vicelards, yeux rouges, moustaches à la bière, barbes à (la tequila) papa(f), rires gras, voix braillardes, élocutions trop rapides pour ne pas paraître forcées. Soyons réalistes, on est plus proches de l’agent 00Get27 (juste pour le jeu de mots, maudits soit les buveurs de menthe poivrée imitation poivrots) que de J.Bond. Et puis voilà qu’il neige. Merci marraine Lutèce pour ce joli cadeau d’adieu. Il est 2h et tombent les blancs flocons sur les noirs pochtrons. Ariane Baker alias la muse éthylique de mes amis est en pleine discussion avec Hakim. Est saoule. Est mannequin dans le roman de N.Rey. Mesure 1m40 dans la réalité. Mais aurait posé pour Vogue Japon. A passé sa soirée à me mettre des coups de tête dans l’épaule, de préférence quand j’avais un verre à la main. Piaille. Jacte. S'égoscille. M’exaspère. Va au "Chacha" car le bar ferme. Prends un taxi pour franchir les 40 mètres de distance. Veut qu’Hakim vienne avec elle. Grand seigneur, il refuse de se séparer de nous.
Plic plac flic floc fuck. Le videur du Chacha ne veut pas nous laisser entrer danser. Ariane Baker file entre les doigts d’Hakim, passablement agacé. On poireaute sous la pluie. La porte de l’immeuble mitoyen à la boîte s’ouvre. On s’y engouffre. Pas résignés pour deux saouls, mes deux alcoolytes cherchent une porte communiquant avec le Chacha. Rien au rez-de-chaussée. Le local à poubelles est prolongé par un boyau qui s’enfonce sous terre. L’expédition spéléologique s’avère inutile, c’est un cul-de-sac. Nous revoici dehors, échafaudant un vague projet de contre-soirée dans le souterrain. Finalement, et après avoir en vain essayé d’embrigader les autres refoulés qui sont pléthores ce soir, direction l’appartement de Fabien et ses quatre, je dis bien quatre colocatrices (colocataire n’ayant pas de féminin, j’ai du user de néologisme par soucis de sens). Pas de taxis disponibles. Sur le chemin, nous rencontrons deux suédoises quasi-trentenaires, 27 et 29 ans pour leur rendre justice. Elles aussi sont à la recherche d’un taxi, ne connaissent pas Paris et habitent à côté de chez Fabien. Elles nous accompagnent, à pied, puis moyennant 10€ en camionnette RATP jusqu’au Boulevard St. Germain. On va boire un coup tous les cinq pour fêter notre arrivée.
Plic plac flic floc flop. Les suédoises sont rentrées chez elles. Nous rentrons également et chemin faisant j’engueule mes copilotes. Instinctivement et sans la moindre concertation nous avions pourtant réussi à nous présenter émergeant d'un rideau de fumée vaporeuse du plus bel effet. Hakim est un auteur parisien romantique ET publié. Fabien vient de terminer ses études, le voilà docteur. Quand à moi, je suis bien évidemment Amédé Parois, le mystérieux aventurier s'envolant le lendemain pour le bout du monde. Concentrés à l'extrême, complètement impliqués dans leurs rôles, ils ont réussi à merveille à rendre crédibles nos divagations éhontées. Parfait, me direz-vous ? Hélas, ils ont oublié en chemin l'essentiel : l'attaque ! J’ai pourtant fait tout mon possible pour faire tourner la conversation autour de l'âges avancés de nos amies du Nord, de leur célibat, de leur absence d’enfant, de la sournoise trentaine qui les guette tapie dans l'ombre, de leur solitude de frêles scandinaves perdues dans la grande ville. Mais mes compères ont malheureusement obstinément refusé de m’emboîter le pas. Dommage. Dans un moment d’extra-lucidité, j’avais même deviné le signe astrologique de l’une des deux, ce qui, théoriquement, rapporte 100 pts. Et tant pis, cela reste une rencontre très sympathique. Force m'est d'ailleurs de reconnaître qu’elles étaient plutôt délurées et que l'on a passé un agréable moment.
Plic plac flic floc. On termine la soirée au Sky sec/clopes humides à la fenêtre, appartement non-fumeur oblige. En récompense à ma soirée, j’obtiens finalement l’aveu de Malika. Après une bataille rangée absolument épique, elle m’accorde un soupçon d’attirance physique pour son père. Mais par Big Blank que ce fut compliqué. Rétrospectivement, je me rends d'ailleurs compte qu'il serait peut-être temps que j'arrête d'engager la conversation avec des inconnues systématiquement sur le thème de leur complexe d'Oedipe.
Plic plac flic floc. Le taximan est mort de rire d’un bout à l’autre du trajet en écoutant notre conversation, dont je ne me rappelle d’ailleurs pas un mot, si ce n’est que l’on s’est copieusement engueulé. Arrivée chez Hakim, il est quelque chose du matin. Leonard Cohen distille quelques touches de poésie dans le 9m2. Armé d'un joint biscornu, j'envoie quelques volutes de fumée valser avec elles. Puis au lit. Réveil à 5h de l’après-midi. Bonne nouvelle, je suis encore à moitié saoul et m’évite ainsi une gueule de bois. Mauvaise nouvelle, Hakim doit être à Clermont-Ferrand le lendemain pour un examen et son dernier train part dans 20 minutes. Adieux hâtifs, et avouons-le, non dénués d'un zeste d'émotion. Je vais passer ma dernière soirée française chez l’ami Jérémy du côté de Créteil. Pas de folies, on l’attend à la Défense le lendemain matin. Avant de me coucher, je fume ma dernière tête de skunk avant fort longtemps en regardant une « enquête exclusive » sur M6 consacrée à la revente de voitures européennes d’occasion en Afrique Noire, histoire de me mettre dans l’ambiance.
Plic plac flic floc. 7h du matin. Il fait jour et je n'ai pas dormi. Sur la baie vitrée du salon, quelques rares gouttes dégoulinent nonchalamment en fines coulures et brouillent le halo des lampadaires en face. A Ouaga, il n’y a que très peu de baies vitrées et de lampadaires, et encore moins de pluie.
Plic plac flic floc. La tête contre la vitre, je ne lutte pas contre la somnolence.
Plus de plic, plus de plac, quelques flics, plus de floc. 23h à la gare de Lyon. Quelques volées d’escaliers, une station et quelques volées d’escaliers plus tard voilà Châtelet. Je me plante de sortie, les néons des grands magasins m’arrosent, la foule me pousse dans la bonne direction et voilà qu’Hakim me cueille. 10 minutes plus tard, je suis débarrassé du fardeau de mon sac. 10 minutes de plus et je suis au Frog. Encore 10 minutes voilà ce cher vieil alsacien de Fabien, qui tout informaticien qu’il soit reste un type formidable. Viennent encore 10 minutes, je baigne dans un doux mélange de chaleur, de bruit et de promiscuité humaine accompagné des suaves vapeurs de l’aube de l’ivresse.
Plic plac flic floc sortie clope. Les parisiens ne s’ennuient jamais. Dernière en date : voir en une habituée de leur rade une héroïne de N.Rey. Pour la soirée, il s’agira donc de la suivre, si possible discrètement. Cela risque d’être difficile. Il est 1h passée. Sourires vicelards, yeux rouges, moustaches à la bière, barbes à (la tequila) papa(f), rires gras, voix braillardes, élocutions trop rapides pour ne pas paraître forcées. Soyons réalistes, on est plus proches de l’agent 00Get27 (juste pour le jeu de mots, maudits soit les buveurs de menthe poivrée imitation poivrots) que de J.Bond. Et puis voilà qu’il neige. Merci marraine Lutèce pour ce joli cadeau d’adieu. Il est 2h et tombent les blancs flocons sur les noirs pochtrons. Ariane Baker alias la muse éthylique de mes amis est en pleine discussion avec Hakim. Est saoule. Est mannequin dans le roman de N.Rey. Mesure 1m40 dans la réalité. Mais aurait posé pour Vogue Japon. A passé sa soirée à me mettre des coups de tête dans l’épaule, de préférence quand j’avais un verre à la main. Piaille. Jacte. S'égoscille. M’exaspère. Va au "Chacha" car le bar ferme. Prends un taxi pour franchir les 40 mètres de distance. Veut qu’Hakim vienne avec elle. Grand seigneur, il refuse de se séparer de nous.
Plic plac flic floc fuck. Le videur du Chacha ne veut pas nous laisser entrer danser. Ariane Baker file entre les doigts d’Hakim, passablement agacé. On poireaute sous la pluie. La porte de l’immeuble mitoyen à la boîte s’ouvre. On s’y engouffre. Pas résignés pour deux saouls, mes deux alcoolytes cherchent une porte communiquant avec le Chacha. Rien au rez-de-chaussée. Le local à poubelles est prolongé par un boyau qui s’enfonce sous terre. L’expédition spéléologique s’avère inutile, c’est un cul-de-sac. Nous revoici dehors, échafaudant un vague projet de contre-soirée dans le souterrain. Finalement, et après avoir en vain essayé d’embrigader les autres refoulés qui sont pléthores ce soir, direction l’appartement de Fabien et ses quatre, je dis bien quatre colocatrices (colocataire n’ayant pas de féminin, j’ai du user de néologisme par soucis de sens). Pas de taxis disponibles. Sur le chemin, nous rencontrons deux suédoises quasi-trentenaires, 27 et 29 ans pour leur rendre justice. Elles aussi sont à la recherche d’un taxi, ne connaissent pas Paris et habitent à côté de chez Fabien. Elles nous accompagnent, à pied, puis moyennant 10€ en camionnette RATP jusqu’au Boulevard St. Germain. On va boire un coup tous les cinq pour fêter notre arrivée.
Plic plac flic floc flop. Les suédoises sont rentrées chez elles. Nous rentrons également et chemin faisant j’engueule mes copilotes. Instinctivement et sans la moindre concertation nous avions pourtant réussi à nous présenter émergeant d'un rideau de fumée vaporeuse du plus bel effet. Hakim est un auteur parisien romantique ET publié. Fabien vient de terminer ses études, le voilà docteur. Quand à moi, je suis bien évidemment Amédé Parois, le mystérieux aventurier s'envolant le lendemain pour le bout du monde. Concentrés à l'extrême, complètement impliqués dans leurs rôles, ils ont réussi à merveille à rendre crédibles nos divagations éhontées. Parfait, me direz-vous ? Hélas, ils ont oublié en chemin l'essentiel : l'attaque ! J’ai pourtant fait tout mon possible pour faire tourner la conversation autour de l'âges avancés de nos amies du Nord, de leur célibat, de leur absence d’enfant, de la sournoise trentaine qui les guette tapie dans l'ombre, de leur solitude de frêles scandinaves perdues dans la grande ville. Mais mes compères ont malheureusement obstinément refusé de m’emboîter le pas. Dommage. Dans un moment d’extra-lucidité, j’avais même deviné le signe astrologique de l’une des deux, ce qui, théoriquement, rapporte 100 pts. Et tant pis, cela reste une rencontre très sympathique. Force m'est d'ailleurs de reconnaître qu’elles étaient plutôt délurées et que l'on a passé un agréable moment.
Plic plac flic floc. On termine la soirée au Sky sec/clopes humides à la fenêtre, appartement non-fumeur oblige. En récompense à ma soirée, j’obtiens finalement l’aveu de Malika. Après une bataille rangée absolument épique, elle m’accorde un soupçon d’attirance physique pour son père. Mais par Big Blank que ce fut compliqué. Rétrospectivement, je me rends d'ailleurs compte qu'il serait peut-être temps que j'arrête d'engager la conversation avec des inconnues systématiquement sur le thème de leur complexe d'Oedipe.
Plic plac flic floc. Le taximan est mort de rire d’un bout à l’autre du trajet en écoutant notre conversation, dont je ne me rappelle d’ailleurs pas un mot, si ce n’est que l’on s’est copieusement engueulé. Arrivée chez Hakim, il est quelque chose du matin. Leonard Cohen distille quelques touches de poésie dans le 9m2. Armé d'un joint biscornu, j'envoie quelques volutes de fumée valser avec elles. Puis au lit. Réveil à 5h de l’après-midi. Bonne nouvelle, je suis encore à moitié saoul et m’évite ainsi une gueule de bois. Mauvaise nouvelle, Hakim doit être à Clermont-Ferrand le lendemain pour un examen et son dernier train part dans 20 minutes. Adieux hâtifs, et avouons-le, non dénués d'un zeste d'émotion. Je vais passer ma dernière soirée française chez l’ami Jérémy du côté de Créteil. Pas de folies, on l’attend à la Défense le lendemain matin. Avant de me coucher, je fume ma dernière tête de skunk avant fort longtemps en regardant une « enquête exclusive » sur M6 consacrée à la revente de voitures européennes d’occasion en Afrique Noire, histoire de me mettre dans l’ambiance.
Plic plac flic floc. 7h du matin. Il fait jour et je n'ai pas dormi. Sur la baie vitrée du salon, quelques rares gouttes dégoulinent nonchalamment en fines coulures et brouillent le halo des lampadaires en face. A Ouaga, il n’y a que très peu de baies vitrées et de lampadaires, et encore moins de pluie.
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