Au Burkina,
les bières font 65cl et coûtent de 600 à 800 Francs CFA suivant la marque (Flag, Castel, Brakina, Sobebra entre autres).
Au Burkina,
tu te prends des cuites à la bière. D'abord parce qu'avec la chaleur, c'est possible. Ensuite parce que dans la plupart des rades il n'y a que ça. Et puis parce que ça te permet de passer ta soirée aux chiottes et donc de te faire plein d'amis, et après tout c'est bien pour ça que tu es venu. Enfin parce que la gueule de bois au pastis, quand tu émerge sur les coups de 10h par 35°, que tu nage littéralement dans ta sueur et que tu réalise que l'on a profité de ton sommeil pour remplacer ta gorge par du papier de verre, franchement, tu prends rapidement l'habitude d'éviter, autant que possible.
Au Burkina,
parfois, quand tu vas te coucher un peu beurré, tu te poses des questions existentielles d'un genre très particulier. Par exemple : "Foutre Dieu, ce ventilateur a le grand mérite de me dispenser une fraîcheur pour la moins bienvenue. Cela je l'admets et le concède bien volontiers. Toutefois, ne soyons pas naïfs. A en juger par le vacarme infernal et la trajectoire chaloupée de ses pales, il n'a clairement jamais été aussi proche de se décrocher. Admettons que cela se produise à l'aube, en pleine crise de priapisme. Comment m'assurer d'être à cet instant couché dans une position m'assurant d'échapper à l'émasculation ?"
Au Burkina,
parfois, le soir, tu as du mal à t'endormir.
Au Burkina,
tout est cassé. Ou presque. Les routes, les immeubles, les maisons, les bagnoles, les motos, les gens, les bêtes. La pédale de ton vélo est cassée. Le regard de l'enfant des rues qui agite sans conviction sa timbale ébréchée sous ton nez est cassé. La patte de la chèvre des voisins est cassée. L'incisive droite du type qui te sourit en passant est cassée. Le feu rouge au carrefour voisin est cassé.
Au Burkina,
on répare tout. Ou presque.
Au Burkina,
la musique est rétro à mort. Du genre. Tu es affalé sur ta chaise en inox. Inondé de bière et de mauvaise musique ivoirienne. Fumant une autre mauvaise cigarette. Les yeux au vent. L’esprit vagabondant sur des terres inconnues. Dépaysé. Pas seulement géographiquement. Etranger à ton corps. Existant par intermittences, seulement là où ton regard se pose. Evitant subtilement les tessons de bouteilles parsemant les murs de l’enceinte du maquis. Se glissant dans les corsages de jeunes filles même plus jolies se déhanchant sur la piste. Louvoyant aux bords du goulot d’une bouteille de bière vide sans naturellement oser t’y jeter. Espérant secrètement que l’un d’entre nous sonne l’heure de la retraite sans avoir le courage de l’être. Arpentant des hectares de chair mélanoderme à la recherche d’une épiphanie. Et soudain. Sans prévenir. Telle la plus abjecte des éjaculations. Foutre Dieu mes chers loupiots, me croirez-vous ? Céline Dion, j’irais chercher ton cœur. Tu paniques. Songe à plonger. Dans le feu. Dans les flammes. T’enfuir. Merde. Tu n’as pas fuis l’Occident jusque dans ce rade miteux pour t’entendre parler québécois. Dans un accès de folie, tu demandes l’asile politique à la Moldavie. Mal t’en prend. Arrive Dragostea Din Tei. Tu hurles à la conspiration. T’insurges contre ces mesures crypto-nazies. Appelles J. Jaurès, Rosa L. et autres Malcolm X. à la rescousse. Rien n’y fait. Souffrant toutes les géhennes du monde, passées et à venir, tu t’enfuis.
Au Burkina,
il n’y a pas dire, la mondialisation, c’est vraiment de la merde.
Au Burkina,
tu manges avec les doigts. La plupart du temps de la main droite. Sauf quand tu es de sale humeur et que as envie de faire chier ton monde en affichant ostensiblement le fait que toi, tu n'es pas superstitieux, et qu'aujourd'hui, en bon jeune imbécile, tu as la ferme intention de heurter les sensibilités et croyances de tout un chacun.
Au Burkina,
tu te rends vite compte qu'étrangement tu as beaucoup moins souvent les mains fourrées dans ton caleçon.
Au Burkina,
tu propose toujours de partager ce que tu manges. C'est d'ailleurs souvent le cas en France aussi. Seulement ici, les gens n'ont que rarement l'élémentaire courtoisie de décliner ton invitation. C'est d'ailleurs ce qui est pesant. La plupart du temps, les gens pensent ce qu'ils disent. Quand on te demande comment ça va, ou comment s'est passée ta journée, on attend de toi une vraie réponse et pas un vague "ça va merci". Et il faut se méfier car quand tu demandes à quelqu'un comment il va, il peut se sentir le droit de répondre par la négative, en toute franchise et sans le moindre respect de l'aseptisation sociale par l'hypocrisie et la politesse surfaite. Une agressivité parfois à la limite du supportable.
Au Burkina,
tu te retrouve forcé de réapprendre une dimension des relations humaines que l'on t'avait pourtant soigneusement fait oublier.
Au Burkina,
entre deux crises de réminiscence par la voie maïeutique, tu te fais aux traditions étranges des autochtones. Les abonnements téléphoniques n'existent pas pour les portables. On ne trouve que des cartes prépayées. Idem pour mon compteur d'électricité. Il existe des compteurs permettant une facturation au mois, mais pour le mien, il faut acheter une recharge et composer un code pour le créditer. Et comme les magasins vendant ces précieux sésames sont fermés le week-end, il vaut mieux disposer en permanence d'une recharge d'avance. Dans les bars, tu payes tes consommations au moment où tu passes ta commande.
Au Burkina,
on se méfie des pauvres.
Au Burkina,
il n'y a pas de grandes surfaces, à peu d'exceptions près. A Ouaga, tu trouves un supermarché, Karina Market, dont les prix prohibitifs n'en permettent l'accès qu'aux blancs et à l'élite africaine, ainsi que quelques rares grands magasins, tous situés en centre-ville. Les commerces se situent pour l'essentiel dans les centaines de petites épiceries, et bien évidemment sur les nombreux marchés. Mais il y a surtout un nombre absolument ahurissant de vendeurs ambulants qui sillonnent la ville à pied, voire à vélo, encombrés des chargements les plus divers. Tu trouves des marchands ambulants de cigarettes, de fruits, de mouchoirs, d'unités téléphoniques, mais aussi de chaussures, de vêtements, d'allume-gaz, de rideaux, de balais et ainsi de suite. C'est bien simple, pour équiper un appartement, tu peux utiliser une technique extrêmement simple. Elle consiste à t'asseoir en terrasse au Cristal Rouge à l'heure du retour des marchands ambulants du centre-ville, et à demander à Yama ou à un(e) autre burkinabè, au pire à Abdeslam, de négocier ce qu'il te faut quand passe le vendeur approprié (bien souvent les prix grimpent si tu n'es, comme Abdeslam, pas burkinabé, et explosent bien sûr, si en plus de ne pas être du pays, il te prends l'idée incongrue d'être blanc). Tu peux ainsi acquérir entre autre de la vaisselle, des éponges, des seaux, des draps, des tapis sans même avoir à décoller tes fesses de ta chaise.
Au Burkina, si tu ne vas pas au supermarché, ses rayons parviennent jusqu'à toi.
Au Burkina,
l'antonomase est la règle. Tu ne bois pas de thé et encore moins de café, mais un lipton ou un nescafé. Même si le thé en question est de la marque Dinah, et le café un Carte Noir. Cela dit, il n'y pas de Carte Noire. Tu ne trouves pas de mouchoirs mais les marchands ambulants te proposeront certainement des lotus. Et vlan, dans les dents de Kleenex. Vous vous lavez avec du savon, ici tu n'utilises que du saintex. Le vélo devient souvent un peugeot.
Au Burkina,
les multinationales baignent en plein rêve.
Au Burkina,
n’importe quel concert est un happening. Tu n’y verras jamais un artiste encourager le public à se lever, à marquer la cadence en frappant des mains, à se lever ou à danser. Pour une excellente raison : en règle général, l’artiste en question est trop occupé à beugler pour chanter plus fort que le public et slalomer entre ceux ayant décidé unilatéralement d’envahir la scène. Ne parlons pas des artistes commettant l’erreur d’essayer d’engager la conversation avec l’assistance, transformant ainsi la salle en Ecclésia improvisée à en faire rougir la Pnyx. Tu comprends mieux pourquoi Alfred Jarry disait « Je ne comprends pas qu'on laisse entrer les spectateurs des six premiers rangs avec des instruments de musique. ». Il n’y en a effectivement nul besoin. Le véritable spectacle n’est que rarement sur scène. Et lorsqu’au beau milieu du bordel le plus complet, sur celle-ci, s’amène le représentant de l’entreprise sponsor du concert pour y faire un discours promotionnel, tu comprends tout le sens de la notion de bronca.
Au Burkina, les multinationales feraient quand même mieux de se méfier. Sait-on jamais…
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3 commentaires:
Au Congo, Céline Dion passe pour être la zik ultime pour pécho une blanche. Horrible.
Bon alors, qu'est ce que ca branle par ici!
Je voulais me délecter de tes nouvelles, ami bloggeur, et voila qu'on se retrouve qu'avec un article (excellent certes) qui date de plus de 3 mois!
Passe outre la connexion internet en bois et continue comme ça!
C'est un petit bijou, ce blog.
Les neufs mois sont passés. On aimerait avoir la suite.
Vraiment.
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